dimanche 6 janvier 2008

Le jeu vous va si bien


Enfin un livre sur le jeu qui ne se sent pas coupable de s’intéresser à un loisir futile et infantile, qui n’a pas besoin de prétexte artistique ou culturel, d’user d’un langage universitaire ou de conceptualiser à tout va en employant le grec ou le latin comme cache misère de la pensée, pour parler du jeu comme d’autres le jouent : simplement, en savourant le plaisir de réveiller en soi l’âme d’enfant qu’on avait fait taire. Comme l’auteur le dit si bien :

« L’adulte qui joue accomplit, en lui et dans ses relations, le tissage très intime d’une toile qui l’enrichit en le liant à d’autres. Outre l’enfant qu’il nourrit en lui-même et sans lequel on est orphelin d’une part de soi-même, il consolide sur ce fond de plaisir l’inestimable réseau dont nous avons besoin pour vivre. »

Cette simplicité revendiquée, mêlée de poésie et affranchie de toute référence épistémologique, lui fait toucher du doigt l’essence du jeu là où les prétendus théoriciens du jeu n’ont fait que l’effleurer de façon absconse et rébarbative. Certes, cette absence de réflexion profonde au profit d’une intuition salutaire à ses points faibles et l’auteur, très impliqué dans le processus de transmission du plaisir ludique puisqu’il est revendeur, formateur et journaliste dans le domaine du jeu, croit profondément à l’aspect éducatif du jeu, que je réfute complètement. En effet, le jeu se donne pour tel, sans autre prétention que le plaisir, et s’il y a expérience, ce n’est que celle que du plaisir ressenti et partagé, celle de l’exercice de son esprit en dehors de toute contrainte : jouer c’est avoir l’esprit en vacances.

Pour sa part, Pascal Deru ne peut s’empêcher de charger maladroitement les jeux vidéo perçus comme violents et autarciques, et d’établir une hiérarchie très contestable entre les jeux de société « positifs » d’un côté, reposant sur la collaboration, et d’autre part la majorité de la production mettant en avant des mécanismes « négatifs » comme l’élimination, la spoliation, la compétition ou l’affrontement. Il s’agit d’un raccourci très contestable, car la première fonction du jeu est cathartique et libératoire en faisant expérimenter l’interdit, l’aspect collaboratif d’un jeu apparaissant au contraire aux joueurs, le plus souvent, comme une contrainte des règles. Paradoxalement, c’est le caractère profondément humain du jeu (on dit bien « jeu de société ») qui offre les vertus justement louées par l’auteur en faisant s’affronter « pour de faux » les joueurs tout en les réconciliant « pour de vrai » autour du plaisir ludique. J’en veux pour preuve que les perdants s’en veulent généralement d’avoir mal joué, tournant leur violence contre eux-mêmes, et plus rarement contre le jeu. Le jeu, en tant que laboratoire de la violence, est définitivement un pacificateur des relations humaines.

Mais cela n’empêche nullement le livre de Pascal Deru, qui se lit comme un roman d’amour, d’être un fervent plaidoyer du plaisir ludique, et de nous pousser irrésistiblement vers les tables de jeu avec un enthousiasme communicatif, puisque preuve est désormais faite que le jeu nous va si bien. Un livre roboratif.

Le jeu vous va si bien de Pascal Deru, Le souffle d’or 2006, 300 pages, 17 €

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