Cette question est constamment débattue dans la bibliographie, et il existe presqu’autant de classements que d’auteurs. Cela me fait penser à la question de l’art où chacun affirme que le jeu vidéo est un art sans définir ce qu’est pour lui l’art… En effet, une liste de genre est systématiquement donnée mais jamais la méthode qui a servi à élaborer cette liste. Qu’est ce qu’un genre ? Qu’est-ce qui fait qu’un genre est pur ? Quelle typologie va permettre aux jeux non encore inventés de s’y inscrire ? Autant de questions auxquelles il va falloir répondre.
La tentation est grande de faire un jeu qui engloberait tous les styles pour plaire à tout le monde, comme c'est la grande mode actuellement. Sauf que l'échec provient d'un manque inévitable de cohérence de l'ensemble qui en fait un fourre-tout déjanté, et donc seulement un jeu d'arcade de plus. Avec notre classification, il rentre donc dans une catégorie principale en dépit de son apparente et illusoire synthèse des genres.
Ceux qui se sont intéressés de façon sérieuse au problème ont tenté de définir un critère de classement commun, et non de se contenter de constater un usage dans les magazines consacrés au jeu ou les boutiques. Le critère le plus souvent retenu est celui soi-disant de la mécanique de jeu, qui retient 7 genres : action (des boutons et des manettes à agiter frénétiquement), aventure (l’histoire avant tout), découverte (l’équivalent d’un documentaire), jeux de rôle (progression), puzzle (résolution d’une énigme, symétrie des positions), simulation (réalisme des systèmes physiques), stratégie (un processus de décision complexe). Or, le défaut principal de cette classification est de confondre le mécanisme (action, puzzle…) avec l’intérêt (découverte, simulation, stratégie).En effet, un jeu de stratégie utilise la réflexion et l’action, un jeu d’aventure les puzzles et la découverte, etc. Les genres se contaminant entre eux, ils biaisent toute tentative de classification à partir de ces critères.
D’autres sont allés moins loin encore en proposant deux catégories : jeux émergents (puzzles) et jeux de progression (jeux d’aventure). Mais là, outre le ridicule d’une classification binaire, est qu’il n’existe aucun jeu qui appartienne seulement à l’une ou l’autre catégorie. En effet, le gameplay implique la réflexion, le level design la progression, dès lors la messe est dite.
Il existe bien sûr d’autres classifications, complémentaires ou pas, mettant en jeu la partie : jeux à partie unique (jeux d’aventure), à partie multiple (puzzles), sans partie (online) ; mais aussi le nombre de joueurs : jeux en solitaire d’un côté et multijoueurs de l’autre, compétitifs ou coopératifs, à partie ouverte (MMORPG) ou fermée (belote en ligne). Enfin, on distingue les jeux « Toboggan », qui déroulent une expérience au joueur, et les jeux « bac à sable » où le joueur dispose des outils pour construire sa propre expérience, comme les Sims, ou les MMORPG. Le problème étant toujours que la classification est davantage fondée sur l’intuition qu’un critère clairement exposé.
Or, pour faire émerger une typologie il m’apparaît que celle-ci ne doit pas reposer sur le mécanisme du contrôle mais davantage sur le plaisir que le joueur vient y trouver. En effet, on peut faire une simulation de sport à la souris où il faut doser le vent et la force d’impact du club (réflexion, intuition) ou à la wiimote où l’on mime le geste (adresse, précision, coordination). Les manipulations sont très différentes, mais on joue toujours au golf. Inversement, le « command carnival » (festival de boutons) cher à Sony, peuvent désigner aussi bien un jeu de combat comme SoulCalibur qu’un jeu de rythme comme Guitar Hero ou un jeu de plateforme comme Metal Slug, qui ont des thèmes très différents. Considérer les manipulations c’est voir la forme avant le fond, alors que prendre en compte le thème du jeu, c’est s’attacher au fond avant la forme. Pourtant les deux sont des éléments indissociables du plaisir ludique.
Puisque nous avons dans un article précédent dressés les plaisir ludiques, nous pouvons nous y référer, toujours selon l’ennéagramme. Vous noterez que j’en ai modifiés certains, percevant désormais les choses un peu différemment :
- Perfectionniste (action+dépendant) : jeux de progression. Le genre emblématique est le jeu de rôle, qui offre une progression à la fois spatiale, temporelle et personnelle, mais aussi les jeux « bac à sable » qui permettent au joueur de construire un jeu à son image, ou encore les jeux de développement comme Civilisation.
- Altruiste (relation+dépendant) : jeux d’interaction. On pense immédiatement aux jeux multijoueurs en réseau et en ligne qui ont développé des interfaces de chat et de téléphonie ingame.
- Battant (relation+agressif) : jeux de compétition. Surtout les jeux de scoring et ceux qui mettent en avant la rapidité d’action, comme les FPS, type Counter Strike, mais aussi Tetris ou les jeux de combat.
- Romantique (relation+détaché) : jeux d’immersion. Les jeux qui privilégient l’expérience sur l’objectif à l’instar des jeux d’aventure ou des jeux de découverte.
- Observateur (intellect+détaché) : jeux d’observation. Les puzzles, casse-têtes et jeux de logique sont les plus à même de séduire les joueurs sensibles à ces ressorts.
- Loyal (intellect+dépendant) : jeux de simulation. Les jeux qui simulent la réalité avec un excellent rendu de la physique, comme les simulateurs de vols et les simulations sportives.
- Epicurien (intellect+agressif) : jeux d’arcade. Le fun pour le fun, donc plutôt les jeux de plate-forme ou plus largement à partie multiple, qui privilégient l’intensité plutôt que la durée.
- Chef (action+agressif) : jeux de stratégie/gestion comme les « god games » (Populous, black&white) et les RTS (Dune II, Megalomania).
- Médiateur (action+détaché) : jeux collaboratifs. Ils reposent sur l’échange et la collaboration (Pokemon), et se développent avec les jeux en ligne PvM (Diablo, Warcraft III) ou plus simplement les jeux d’équipe, de Double Dragon à Team Fortress.
On retrouve logiquement dans cette classification les différentes typologies déjà exposées, mais intégrées les unes aux autres. Il existe beaucoup de jeux métis, qui combinent différents types de plaisir, mais chaque joueur vient y chercher principalement un plaisir. Cette démarche peut donc l’amener à choisir des jeux différents dans leurs mécanismes, mais qui éveillent chez lui une ou plusieurs résonances auxquelles il est sensible. Tetris et Counter Strike sont apparemment très différents, mais renvoient au même plaisir de compétition et de dépassement.
Inversement, je suis perfectionniste, et j’adore logiquement Sim City, même si je n’aime pas du tout les Sims (qui relèvent pourtant d’une mécanique similaire). C’est tout simplement que chacun est un individu complexe, qui peut chercher plusieurs types de plaisirs, ou peut être simplement repoussé par un aspect qui va à l’encontre de son échelle de motivations. Pour ma part, à la fois romantique et pas du tout loyal, je déteste dans le jeu ce qui me ramène à l’univers réel, et les Sims m’apparaissent comme de mauvais personnages de sitcom.
2 commentaires:
Bonjour,
Je suis tombé sur votre écrit en faisant une recherche sur les différentes typologies du jeu vidéo. Votre blog est très intéressant, contrairement à la plupart des blogs JV au contenu vide de sens.
Continuez ainsi :)
Mais je tiens tout de même à vous signaler une erreur philosophique récurrente dans le commun collectif et qui n'est pas en rapport avec le JV.
L'épicurisme n'a rien d'une philosophie du jouisseur bon vivant, exubérante et intense. La but de la philosophie épicurienne est d'atteindre l'ataraxie, c'est à dire une tranquillité de l'âme fondée sur une certaine ascèse afin de supprimer toute forme de souffrance. On est très loin des sensations procurées par l'arcade, donc une jouissance immédiate et ultra rapide.
Epicure était quasi-végétalien et prônait une recherche du bonheur par des plaisirs sobres. Myst serait un jeu épicurien, certainement pas Metal Slug :) Sa pensée est malheureusement travestie par tout nos contemporains, je ne sais pour quelle raison.
Salutations vidéoludiques !
Bonjour Reiji,
Merci pour votre intérêt pour mon blog. Le terme d'épicurien n'est ici pas le mien mais celui du modèle que j'utilise, à savoir l'ennéagramme. D'autre part en français, à la différence de la philosophie antique, l'épicurien est un hédoniste, donc un bon vivant.
En outre l'ataraxie que vous jugez épicurienne était valable aussi pour les stoïciens qui définissaient le bonheur comme l'absence de souffrance, et rejoignaient en cela les épicuriens. Pourtant aujourd'hui stoïque a un sens qui n'est pas exactement synonyme de bon vivant, pas plus que d'épicurien.
Il faut se rendre à l'évidence que la langue est vivante et évolue, et sa signification, comme sa syntaxe, ne se décrète pas mais se constate. Le Trésor de la langue française donne pour deuxième sens à épicurien : "qui s'adonne aux plaisirs de la table, aux jouissances de la chair".
Un élément de réponse peut-être à votre question : le jouisseur et l'épicurien recherchent tous deux le plaisir, même si c'est par une démarche contraire : le premier cherche a maximiser son plaisir, le second à le voir dans toute chose.
Sinon on peut être végétalien et bon vivant, j'en sais quelque chose.
Bien ludiquement,
DD
Enregistrer un commentaire