Escher est un dessinateur, sculpteur et surtout graveur hollandais (1898-1972). Personnage d’allure sévère et lisse, ses gravures minutieuses sont fameuses pour les principes mathématiques ou physiques qu’elles renferment. Peu prisé des amateurs d’art, sa notoriété est celle des connaisseurs, bien que le succès public de certaines de ses œuvres ne soit pas négligeable : on trouve des posters, des cartes postales et des même des calendriers Escher. Son goût presque exclusif de la monochromie et des trames, ses sujets abstraits et mathématiques, ses exécutions millimétrées, semblent parler plus à l’intellect qu’au cœur, et lui ont valu une réputation de froideur cérébrale, et d’artisan, voire de technicien, plus que d’artiste. Ce sont en effet les mathématiciens qui ont attiré l’attention sur son œuvre… c’est tout dire !
Pourtant son inspiration, la richesse et la cohérence de son monde intérieur, sont époustouflants. Lui qui répondait, comme Lovecraft, grand amateur de géométrie non euclidienne, avant lui : « Et ce n’est rien à côté de ce dont je rêve ! ». Mais Escher prend le contre courant de l’art et ramène toujours l’homme à ses limites, à lui faire chercher le mécanisme de l’illusion qui lui donne l’impression de perdre pied devant un escalier éternel, un ensemble qui se comprend lui-même ou des perspectives folles. Le réalisme de ces perspectives mensongères dont use Escher conduit implacablement le spectateur à la perte de son centre de gravité cartésien grâce à des points de fuite soigneusement biaisés. Le spectateur se retrouve ainsi à douter de ses perceptions et à approcher cet état de rêve lucide que Lovecraft jugeait supérieur à notre réalité, tout encombrée qu’elle est des contingences de la physique.
C’est précisément ce vertige de la représentation qui fait d’Escher un grand artiste, mais qui lui fait aussi mériter sa place dans notre blog, lui qui adorait Lewis Caroll et avait souligné un jour dans un livre du mathématicien J.L. Synge ces mots : « En vous proposant de méditer sur l’idée que l’esprit humain se montre sous un jour le plus favorable lorsqu’il s’amuse, je m’amuse moi-même et cela me fait sentir qu’il peut y avoir un élément de vérité dans ce que je dis. » J. L. Locher note pour sa part : « On est frappé par le fait que les spectateurs ne témoignent guère d’admiration solennelle ou d’un manque de compréhension silencieux. On voit plutôt les spectateurs rirent aux éclats devant certaines estampes, réaction concordant, généralement, tout à fait avec l’intention de l’artiste.»
Ainsi, en désacralisant l’art et en jouant avec le spectateur, Escher remplit tout à fait la fonction d’un jeu : nous captiver en nous capturant intellectuellement dans le tableau, nous rendre actif en nous poussant à résoudre notre vertige, se jouer de nos perceptions afin que nous jouions avec la composition du peintre, et surtout nous permettre de résoudre la supercherie pour que peintre et spectateur se trouvent finalement réunis dans un rire complice. Bref : mettre l’art au service du plaisir ludique et de l’imagination.
Le monde de M. C. Escher sous la direction de J.L. Locher, Le Chêne 1972, 270 pages, épuisé.
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