Marcel
Aymé est connu pour ses contes pour enfants publiés dans des éditions imagées.
Pourtant, si ceux-ci font référence aux classiques enfantins, comme par exemple
Le loup fait référence au Petit chaperon rouge, et bien qu’ils
aient la simplicité du langage de l’enfance, leur thématique est plus sombre et
leur humour grinçant sera surtout apprécié des adultes. A priori l’histoire qui
nous intéresse ici, extraite des Contes bleus du chat perché, ne fait
pas référence au jeu, et pourtant : jeu des enfants avec le loup, jeu de
l’auteur avec le lecteur. D’entrée de jeu, si j’ose dire, le jeu est ce qui
pousse les petites filles à faire entrer le loup, avant qu’il n’emporte le
morceau en leur jouant la comédie de l'animal blessé. Une fois en présence des
petites filles, et malgré la référence lancinante au Petit chaperon rouge,
le loup, plein du désir de s’amender et bon camarade de jeu, finit par se
convaincre lui-même en même temps que le lecteur qu’il n’est plus un loup.
Sauf que
le lecteur, ne participant pas directement aux jeux, ne peut s’y laisser
prendre, regardant d’un œil suspicieux cette complicité improbable, il s’attend
donc logiquement à un coup de théâtre. Marcel Aymé joue ainsi du poncif du loup
dévoreur de marmots pour mettre mal à l’aise le lecteur : celui-ci est en effet
prévenu du danger du loup, de l’innocence des enfants, de la séduction du jeu
et de tous les fâcheux précédents... Il n’y a donc aucun lien entre le Petit
chaperon rouge, conte féminin et initiatique selon Bettelheim, et le conte
cruel, pessimiste et moralisateur de Marcel Aymé, où le jeu, parenthèse
enchantée masque un temps la vraie nature de chacun avant de la révéler au
grand jour avec plus de violence. Au contraire du conte traditionnel, la
transgression n’est pas un facteur d’émancipation, et ici ce sont les parents
qui sont dans le vrai, dans les deux sens du terme. Le jeu n’y représente plus
qu’une dangereuse illusion, malgré la conclusion où la réalité prend des
accents ludiques, en s’autorisant à rejouer la dernière scène, comme dans Le
petit chaperon rouge.
« _
Loup, si on jouait au loup ?
Le jeu
était nouveau pour lui, on lui expliqua les règles, et tout naturellement, il
fut désigné pour être le loup. Tandis qu’il était caché sous la table, les
petites passaient et repassaient devant lui en chantant le refrain :
“Promenons-
nous le long du bois, pendant que le loup y est pas. Loup y es-tu ?
M’entends-tu ? quoi fais-tu ?”
Le loup
répondait en se tenant les côtes, la voix étranglée par le rire :
_ Je mets
mon caleçon.
Toujours
riant, il disait qu’il mettait sa culotte, puis ses bretelles, son faux col,
son gilet… Quand il en vint à enfiler ses bottes, il commença d’être sérieux.
_ Je
boucle mon ceinturon, dit le loup, et il éclata d’un rire bref. Il se sentait
mal à l’aise, une angoisse lui étreignait la gorge, ses ongles grattèrent le
carrelage de la cuisine.
Devant
ses yeux luisants, passaient et repassaient les jambes des deux petites. Un
frémissement lui courut sur l’échine, les babines se froncèrent.
-… Loup y
es-tu ? m’entends-tu ? quoi fais-tu ?
- Je
prends mon grand sabre ! dit-il d’une voix menaçante, et déjà les idées se
brouillaient dans sa tête. Il ne voyait plus les jambes des petites, il les
humait.
_… Loup y
es-tu ? m’entends-tu ? quoi fais-tu ?
_ Je
monte à cheval et je sors du bois !
Alors le
loup, poussant un grand hurlement, fit un bond hors de sa cachette, la gueule
béante et les griffes dehors. » (pp. 26-27)
Conte
désenchanté, si Le loup est une initiation, elle est celle de la dure
réalité, de la loi des adultes, de l’obéissance. Le jeu n’en apparaît alors que
plus pernicieux, à moins qu’il ne permette a contrario d’échapper, ne
serait-ce quelques instants, à l’empire des précédents. Cynique mais amusant.
Le loup (1934)
in Les contes bleus du chat perché de Marcel Aymé, Gallimard 1981,
pp. 9-28, épuisé.
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