Un livre sur le cinéma dans un blog sur les jeux. J'aime les livres qui enrichissent un sujet en empruntant un détour. Comme le précise la quatrième de couverture : "... ce livre jubilatoire ne concerne pas que le cinéma, il constitue, plus largement, une sorte d'introduction à un usage raisonné du jugement de goût." Programme tout à fait excitant à qui cherche à aborder un objet culturel par le plaisir qu'il procure.
Mais si Qu'est-ce qu'un bon film est amusant à lire, particulièrement dans son analyse de la critique Kantienne à la française, son principal défaut est cependant d'évoquer - voire carrément de participer - aux conversations de café de commerce sur le cinéma, l'anecdote l'emportant sur la méthode au point que j'ai passé mon temps à consulter les titres de chapitres, perdu que j'étais par la faconde de l'auteur.
Certes Laurent Jullier dégage bien six critères en usage dans le jugement de goût selon 3 types : ordinaires (succès, technique), communs (édifiant, émouvant), distingués (original, cohérent), sans qu'on sache jamais ce qui lui a fait les retenir parmi d'autres possibles. Si l'auteur s'attache toujours à démontrer que le critère est bien en usage chez la critique et le public, il ne questionne jamais leur validité effective. On ne sait ainsi pas si les critères retenus le sont parce qu'ils sont véritablement recherchés par ceux qui vont voir les films, sont conscient ou inconscient, admis ou non, pertinents ou non, objectifs ou non, etc. Pire, les critères ne semblent même pas sur le même plan : le succès d'un film n'est important que comme moteur de choix, pas d'appréciation ; la technique n'est le plus souvent citée que lorsqu'elle fait défaut, sinon est oubliée face à l'art ; l'originalité est un critère subjectif et périssable et qui n'a de sens qu'en fonction de la culture du spectateur, un film étant original tant qu'on n'en a pas vu de semblable, etc. On assiste même dérouté à l'utilisation, par la critique établie, d'un même argument pour et contre un même film. Bref il est assez frustrant de constater qu'une fois ces six critères dégagés, le lecteur ne sait absolument pas quoi en faire, et qu'on est loin de "l'usage raisonné du jugement de goût" annoncé par l'éditeur.
Au final Qu'est-ce qu'un bon film laisse un arrière goût étrange de confusion : par son écriture bavarde tout en analogies et en anecdotes et surtout parce que l'auteur ne fait que dresser un constat descriptif des usages, sans analyse, sans synthèse, sans clefs d'utilisation. Parce que les critères dédagés sont éminemment relatifs, parce qu'ils ne sont jamais discutés et loin d'être applicables simultanément à tous les films, parce qu'on peut citer des films dont l'intérêt ne se situe principalement dans aucun des six critères définis : Nuit d'été en ville de Michel Deville ou Exotica d'Atom Egoyan ont par exemple une atmosphère hypnotique que j'aurais du mal à rattacher à l'un des six critères...
Le plus déroutant sans doute restant que l'auteur, qui se targue d'être un cogniticien, n'aborde jamais la question du plaisir induit par ces critères, mais bien de leur importance dans un discours de justification à posteriori. Or le secret du goût, en tout cas celui du public, ne se situe-t-il justement dans le plaisir ressenti, à la différence de celui de la critique kantienne remise en cause par l'auteur ? On ne sait donc toujours pas en refermant ce livre, si un bon film l'est parce qu'on y a pris du plaisir ou parce qu'il faudrait "raisonnablement" l'aimer. Exactement ce que prétendait dénoncer l'auteur en début d'ouvrage en évoquant les soi disant "chefs-d'oeuvre" dont la vision est insupportable.
Un livre amusant et original, plus pertinent par les questions qu'il pose que par les réponses qu'il apporte.
Qu'est-ce qu'un bon film ? de Laurent Jullier, La Dispute 2002, 251 p., 15 €.
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