mardi 19 août 2008

Le violon de faïence

Livre favori d’un de mes professeurs, j’avais lu ce court roman il y a longtemps, et si le thème m’avait marqué, l’écriture moins, et surtout je n’avais jamais établi un lien avec le jeu. C’est en racontant l’histoire que je me suis aperçu qu’elle présentait brillamment la passion dévorante pour un loisir futile. Je l’ai alors relue avec d’autres yeux. En premier lieu c’est la qualité d’écriture qui surprend, ce qu’explique en partie la version largement remaniée qui a servi pour cette édition tardive (1877). Champfleury, porte-parole du réalisme en littérature, utilise la collectionnite comme creuset des passions les plus folles, afin de montrer à quelles extrémité une passion soudaine peut réduire un homme qui en est dépourvu, et comment celle-ci s’insinue, s’épanouit puis disparaît aussi promptement qu’elle est apparue. Bien entendu c’est autant parce qu’il était administrateur de la manufacture de Sèvre que collectionneur compulsif d’assiettes de la Révolution, que l’auteur est à même de traduire brillamment les affres de la syllectimanie :

« Gardilanne se disait sans passions ; c’était l’être le plus passionné qui se put voir, plus ardent que le chasseur, plus inquiet que l’amant à son premier rendez-vous, plus tyrannisé qu’un ambitieux, plus fébrile qu’un joueur, les yeux enflammés comme un corse qui guette son ennemi, aussi brillants que ceux d’un gourmand devant l’étalage d’un Chevet, les mains plus convulsives qu’un homme dont la dernière carte représente la ruine ou la fortune. Pas de passions ! Gardilanne les possédait toutes, fondues en une seule, la plus vive, la passion des collections ! » (p. 15) Dans ce podium des passions excessives que dresse Champfleury, le jeu prend deux fois la plus haute place. La passion devient peu à peu obsessionnelle et exclusive : « Gardilanne avait jeté un graine de sa propre passion dans l'esprit de son ami, où s'agitaient d'autres passions : la graine avait germé, commençait à poindre, et devait donner de larges feuilles qui étoufferaient les passions voisines. » (p. 29)

Cette monomanie plonge alors sa victime dans des affres extrêmes, la pervertissant et la conduisant à des actes qui la répugnaient jusqu’alors, comme la tricherie : « Les hommes ont à leur service mille raisons captieuses pour colorer leurs passions, retirer leur parole donnée, rompre une liaison et sacrifier leurs meilleurs amis. » (p. 39). Une fois pris au jeu, le joueur est captivé, c’est-à-dire que son échelle des valeurs est renversée et le monde imaginaire du jeu se substitue à la moralité qui gouverne la réalité. La fin (= la victoire) justifiant les moyens, le tricheur est celui qui, oubliant le contrat ludique, sacrifie l’effort à l’enjeu qui pourtant lui donne seul au sens, au motif que la réussite de la tricherie est elle-même un défi et objectivement plus risquée. Le collectionneur, quant à lui, bien que pétri de réalité par son désir de posséder, réinvente un ordre symbolique à même de lui donner la préséance qui lui manque dans le monde réel : il est le seul au monde à reconnaître la valeur des objets qu’il poursuit, et les autres sont des mécréants.

Pleine d’humour acide, la nouvelle de Champfleury est également cruelle envers ses personnages, et de même que l’auteur se peint lui-même en collectionneur ridicule, le lecteur, témoin complice de la passion de Dalègre, ne peut que se reconnaître dans les larmes douces-amères que verse le héros, tout en se félicitant de mettre la main sur le violon de faïence, sur son ami défunt : « Pendant le convoi, Dalègre senti couler une larme. Il eût fallu sans doute l’étudier pour connaître de quels sentiments divers elle était composée ; mais ce sont des substances particulières que la chimie actuelle est incapable d’analyser. » (p. 105) Cette peinture de caractère a d’autant plus les traits du jeu que le personnage finit par revenir à lui-même. Le regard de Champfleury, plein d’ironie et de tendresse pour l’âme humaine, prouve ainsi que les passions en sont autant sa réalité que sa négation.

Une leçon ludique et roborative.

Le violon de faïence (1861) de Champfleury, Ombres 1996, 113 pages, 8.50 €. 

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