Passage a remporté le concours Gamma 256 en 2007 en n'utilisant qu'une bande de 100 X 16 pixels, le format d'une ligne de vie vidéoludique en quelque sorte. Détournant les contraintes d'immédiateté, de prise en main et de temps (cinq minutes), Jason Rohrer, l'auteur hippie et trentenaire de Passage, en fait le cœur même de l'expérience de jeu.
Trente ans c'est le milieu d'une vie. En renouant avec les graphismes et les musiques simplistes des jeux vidéo de son enfance, il évoque pour sa génération un univers récessif immédiatement accessible. Or ce retour en enfance est très habilement détourné vers une projection dans l'avenir qui défile petit à petit devant le joueur : d'abord d’une façon informe, qui se précise progressivement, tandis qu'inversement, derrière lui, le passé se condense et s'enfuit.
Avec une économie de moyens assumée, graphisme et musique évoquant les jeux informatiques des années 80, cet univers affectif associé à l'enfance apparaît d'emblée définitivement perdu pour le joueur d'aujourd'hui. Le temps de jeu, matérialisé par le vieillissement imperceptible du personnage et un défilement ininterrompu vers la droite, en réduisant sans cesse la surface de jeu, rapproche le personnage du bord de l'écran en même temps que de sa fin inéluctable. Pour la première fois le joueur n'a pas de but, n'est pas maître de la fin de son expérience, ce qui remet en cause le statut même de jeu de Passage.
Et pourtant, quel jeu offre autant de conséquences aux choix du joueur, faisant de la recherche du sens l'essence même de l'expérience ? Faut-il jouer en cherchant à comprendre au risque de passer à côté du plaisir, ou se contenter de ce qui nous est donné, même si c'est très peu ? Référence aux jeux vidéo oblige, il y a bien un score, mais au final, est-ce une fin en soi ? Et une fois l'expérience achevée, qu'en reste-t-il ?
Suggérer plutôt que montrer, a beau être une vieille recette, elle est en même temps une leçon d'actualité pour une industrie vidéoludique qui multiplie les polygones, les effets pyrotechniques et les références au cinéma d'action. Sans texte, sans scénario, Passage invente l'émotion vidéoludique pure. Aussi, on veut bien croire Jason Rohrer quand il affirme que de nombreuses personnes lui ont confié qu'il s'agissait du premier jeu à les avoir fait pleurer.
Il y a en effet quelque chose de désespéré dans cette lutte de pixels contre l'inéluctable, un écho de la condition humaine. Et c'est ce qui nous trouble.
Passage, un jeu de Jason Rohrer à télécharger gratuitement sur SourceForge.
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