Parue en 1962, cet ouvrage d'ethnologie, dont le titre est un jeu de mot entre la plante et le système de représentation des primitifs, consacre très peu de place au jeu : quatre malheureuses pages. Et pourtant les liens qui sont faits entre le jeu et le rite, la religion et l'art y sont essentiels. Comme l'a fait avant lui Marcel Mauss, Lévi-Strauss rattache le jeu à l'esthétique . En revanche si le sacré, qui relève aussi de cette catégorie, est conjonctif (religion signifie relier) le jeu est disjonctif, car il part d'une situation d'équilibre pour aboutir à une situation de déséquilibre, séparant le gagnant des perdants ; et Lévi-Strauss d'ajouter, avec une touche de cynisme : "...on comprend donc que les jeux de compétition prospèrent dans nos sociétés industrielles". (p. 49)
Au contraire dans la pensée sauvage, le jeu est répété comme une incantation, afin justement de soigner la susceptibilité des morts : « Tout jeu se définit par l’ensemble de ses règles, qui rendent possible un nombre pratiquement illimité de parties ; mais le rite, qui se ‘joue’ aussi, ressemble plutôt à une partie privilégiée, retenue entre tous les possibles parce qu’elle seule résulte dans un certain type d’équilibre entre les deux camps. La transposition est aisément vérifiable dans le cas des Gahuku-Gama de Nouvelle-Guinée, qui ont appris le football, mais qui jouent, plusieurs jours de suite, autant de parties qu’il est nécessaire pour que s’équilibrent exactement celles perdues et gagnées par chaque camp, ce qui est traiter le jeu comme un rite. » (p. 46). Comme si le jeu était le miroir inversé de la fonction sacrée, telle que la conçoit Benvéniste (Le jeu comme structure), et qu'il s'agissait de refermer le cycle, de renvoyer le jeu à ses origines religieuses et funéraires, comme l'a démontré Piganiol dans ses Recherches sur les jeux romains. Enfin il ajoute : "...d'une façon symbolique, gagner au jeu, c'est "tuer" l'adversaire." (p. 48) Ce qui n'est pas sans rappeler le discours de Bataille sur le jeu (Sommes nous là pour jouer ou pour être sérieux ?).
Une réflexion essentielle, parce que complémentaire, qui éclaire par l'ethnologie les intuitions et réflexions de nombre de chercheurs contemporains en sciences humaines.
La pensée sauvage de Claude Lévi-strauss, Pocket 1990, p. 46-49, 7 €
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