Dans la dernière partie, intitulée Les lieux de l'action, l'auteur se propose de modéliser les actions de la vie courante comme si la vie était un jeu. En effet, tels des joueurs, les êtres humains poursuivent leur intérêt et leur plaisir, et sont prêts pour l'obtenir à prendre des risques, ou devrait-on dire à tenter leur chance. C'est donc en évaluant ces dernières à l'aune de leurs conséquences que les joueurs sont prêts à braver la fatalité et, sur "un coup de dés", grâce à quelques "adaptations" personnelles, passer à l'action. Il leur faut pour cela des occasions (les lieux du titre de la dernière partie) mais aussi des moyens, autrement dit le caractère, qui peut parfois en constituer la finalité, par assaut de caractère du joueur. Voilà pour Erving Gofman la cause et l'aboutissement du jeu dans lequel il prétend retrouver les motivations de ses contemporains, et ce à grand renfort d'exemples édifiants tirés de faits divers rapportés dans les journaux.
Cette démarche est bien peu académique, à tous points de vue. L'auteur non seulement postule un modèle qu'il n'étaye ensuite que par des exemples les plus abracadabrants (l'inverse de toute démarche scientifique et un raccourci que nous empruntons tous les jours au bistrot du coin), mais il ignore en outre visiblement tout de l'épistémologie ludique. Certes sa réflexion est parfois rafraîchissante, par exemple dans l'élaboration d'un vocabulaire de travail précis reposant sur la distinction de l'enjeu (ce qu'on est prêt à perdre) par rapport au prix (ce qu'on espère emporter), ou celle des probabilités de la valeur subjective d'une action (sa valeur sociale), ou encore par la description minutieuse du cadre du jeu tel qu'on le joue. En revanche, il arrive parfois à l'auteur de réinventer maladroitement la poudre : les quatre phases de tout jeu sont ainsi les préparatifs, la détermination, les conséquences et le règlement en lieu et place de la manipulation, de la compétence, de la performance et de la sanction proposées par Greimas, et ce de façon autrement plus convaincante.
Enfin il arrive à l'auteur de soutenir l'invraisemblable : le caractère serait ainsi la finalité du jeu social, à l'encontre des théories de la motivation, biologiques et psychologiques, et surtout en le justifiant n'importe comment, en expliquant entre autres que c'est pour cela qu'on admire les voyous qui sont pourtant en marge des valeurs sociales. Bref un raisonnement à l'emporte-pièce étayé par des faits divers et des clichés... Est-ce cela la sociologie selon Erving Goffman ? Certes sa pensée est souvent originale, mais tout aussi souvent à côté du sujet, et méthodologiquement contestable.
Partir du jeu sans rien en connaître (sinon s'être ruiné dans les casinos), pour fonder à partir de lui une sociologie, est un pari risqué. Pari perdu malheureusement, même s'il demeure quelques fulgurances.
Les rites d'interaction (1967) d'Erving Goffman, Minuit 1974, p. 121-225, 16 €
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