Gerard ter Borch (1617-1681) est un peintre hollandais d'intérieurs intimistes et bourgeois, maîtres des matières en particulier des tissus. Fin de partie de cartes, peint vers 1650, est l'un des deux tableaux qu'il a consacré au jeu après les joueurs de Tric-trac. Mais surtout c'est le premier tableau d'une série (La femme au miroir 1653, Le concert 1655) qui exploiteront le même personnage principal : une femme de dos au cou dénudé, pour sa puissance suggestive et érotique. Le peintre affectionne les scènes qui suggèrent des non-dits, comme La lettre où l'on devine l'amour de la rédactrice à son bien aimé. Cette partie de cate est très originale car peindre le jeu, sans sortir du cadre de la peinture de genre, permet de jouer à la fois sur les émotions et les symboles : or Ter Borch nous prive ici des deux en nous présentant sa protagoniste de dos. Enfin le titre nous explique que la partie est finie, ou presque. Et comme si cela ne suffisait pas, les cartes ne sont pratiquement pas visibles...
Au-delà de la mise en avant de l'excellence du peintre pour le rendu du tissu de la robe, qui occupe tout le premier plan, le sfumato ample qui mange l'essentiel du décor fait ressortir la situation au détriment de la description. En effet la dame n'est pas une joueuse, elle ne regarde ni son adversaire ni son jeu. Nous ne voyons pas son visage car il est tout entier accaparé celui de son ami qui l'initie au jeu. Il est debout et d'un geste protecteur lui montre la carte à jouer : probablement un pique qui est le symbole de la mort, et donc ici de la victoire. La coiffure remontée laisse apparaître un collier fait d'un simple lien, celui qui la relie à son conseiller ludique, et probablement son futur amant. En effet le talon de carte laisse apparaître ce qu'on devine être l'as de coeur, que s'adjuge ainsi à travers elle son confident en lui dévoilant la clef de la victoire. Le visage de la joueuse est donc par miroir, par mimétisme celui de son confident qui est plein de douceur : elle consent donc. En effet ce coup de grâce qu'il lui fait symboliquement donner signifie la fin du jeu, donc le début des choses sérieuses. Le visage de l'adversaire, qui regarde le visage mais semble ailleurs, montre que ce tableau est d'abord celui du couple qui occupe le premier plan. L'esprit ailleurs, il est écarté physiquement par la fin de la partie qui signifie sa défaite : il n'y a plus de place pour lui, son sort, comme celui du couple, est désormais scellé.
En instrumentalisant ainsi le jeu, loin de le rabaisser, le peintre lui donne la force du destin qui rapproche les amants en leur faisant surmonter ensemble les obstacles. Les alliances, le combat, la victoire ludiques sont une parabole de la vie. En utilisant le personnage du spectateur qui devient l'éminence grise, le visage de la joueuse, Ter Borch fait entrer dans le cercle du jeu l'ami hors jeu qui, par son intermédiaire, offre la victoire fictive à celle qu'il aime et gagne ainsi réellement son coeur. Quel plus beau rôle pour le jeu que de constituer le plus court chemin entre les êtres ?
Fin de partie de cartes de Gerard Ter Borch, Musée Oskar Reinhart à Winterthur, vers 1650.
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