Parue l'année de la mort de Lovecraft, en 1937, cette longue nouvelle lui doit énormément. Un joueur de croquet, incarnation du gentleman et dilettante anglais, devient le témoin malgré lui du récits de faits inquiétants survenus dans une bourgade proche de son hôtel, du moins le croit-il. L'angoisse croissante liée à l'impossibilité de donner une cause logique aux faits rapportés par des personnages qui oscillent entre la folie et la peur, tient le lecteur en haleine, même si le grosse ficelle du dénouement déçoit.
Herbert George Wells est reconnu pour ses récits d'anticipation philosophiques comme La machine à remonter le temps ainsi que le superbe Pays des aveugles, mais on oublie qu'il a écrit de vrais récits fantastiques comme Le joueur de croquet. A juste titre cependant car, tentant une voie moyenne entre Poe et Lovecraft, celle-ci ne convainc pas : Poe avait innové en proposant des récits fantastiques sur le modèle des énigmes policières d'Agatha Christie, se soldant par une solution rationnelle. A l'inverse Lovecraft, prenant le contre-pied de son prédécesseur, propose des histoires inquiétantes apparemment logiques qui abandonnent le lecteur à la folie du dénouement. Ce dernier a donné au fantastique ses lettres de noblesse en signant les chef d'oeuvre du genre tels Le cauchemar d'Insmouth ou Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Wells s'essaie pour sa part à une troisième voie qui, à des faits inquiétants, ne propose que l'explication du "ça ne s'est, en fait, pas passé comme cela", bien fade en comparaison.
Certes on appréciera quelques considérations philosophiques bienvenues, dont une en particulier sur le lien entre le temps et les angoisses de la société contemporaine. Quant au jeu, si ce n'est qu'un motif très secondaire de la nouvelle, la conclusion lui octroie une place amusante : "Le regardant en face, fermement mais poliment, je lui dis : "Peu m'importe. Il est possible que l'univers tombe en ruines et que l'âge de pierre revienne. C'est sans doute, comme vous le dites, le déclin de la civilisation. Je suis désolé, mais ce matin je n'y peux rien. J'ai d'autres rendez-vous. Aussi, quoi qu'il arrive - c'est la loi des Mèdes et des Perses - je vais jouer au croquet avec ma tante à midi trente, aujourd'hui." (p. 121). Ainsi, face aux malheurs du monde, le jeu demeure un refuge hors du temps, îlot inexpugnable du dilettantisme et du flegme britannique. De ce point de vue, si le jeu n'est pas soumis à la réalité, alors, quelle que soit l'imminence ou l'importance d'un danger, cette réalité ne pourra avoir de prise sur la bulle ludique située en dehors de ses contingences. Car de toute façon, que pourrait-on tenir supérieur à une partie de croquet ?
Le joueur de croquet de Herbert George Wells, Gallimard 1988, 121 pages, 5.60 €.
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