vendredi 21 novembre 2008

Le roman de Don Sandalio, joueur d'échecs


S'il s'agit certes d'un roman, il n'est pas sûr que le sujet en soit le joueur d'échecs. En effet, le but de Unamuno est de démontrer qu'on peut écrire un roman sans s'inspirer de la réalité, et surtout pas de brosser un joueur d'échecs réaliste. Ce joueur est donc silencieux et possédé par le jeu, si bien que l'on n'en saura guère plus à son sujet. Il est même essentiel que cette personne ne fasse rien d'autre, car étant tout au jeu il est ce qu'il doit être, joueur d'échecs : "Prendre le jeu d'échecs comme le prenait mon Don Sandalio, religieusement, vous met au-delà du bien et du mal."

Unamuno fustige la bêtise des hommes et particulièrement ceux qui prétendent expliquer la réalité : "Auparavant ils remplissaient les livres de mots, maintenant ils le font avec ce qu'ils appellent des faits ou des documents ; ce que je ne vois nulle part ce sont des idées." Il écrit donc un antiroman, où l'on ne saura jusqu'à la fin rien du personnage principal, du moins rien de plus que n'en dit le titre. Tout l'intérêt de l'ouvrage réside dans les descriptions poétiques des promenades du narrateur, notre double, et la curiosité entretenue du lecteur à l'égard du héros de l'histoire. Aussi, lorsque le protagoniste principal meurt, le roman s'arrête.

Et Unamuno de conclure : "Les plus grand historiens sont les romanciers, ceux qui mettent le plus d'eux-mêmes dans leurs histoires, les histoires qu'ils inventent." Quant au jeu, le lecteur se consolera en lisant l'unique et très belle description de Don Sandalio : "C'est à peine s'il daigna me regarder : il regardait l'échiquier. Pour Don Sandalio, les pions, fous, cavaliers, tours, reines et rois des échecs ont plus d'âme que les personnes qui les manoeuvrent. Et sans doute a-t-il raison. Il joue plutôt bien, avec assurance, point trop lentement, sans discuter ni refaire les coups ; on ne lui entend dire qu'" échec ! ". Il joue, t'ai-je écrit l'autre jour, comme on accomplit un service religieux. Mais non, mieux : comme on crée une silencieuse musique religieuse. Son jeu est musical. Il saisit les pièces comme s'il jouait d'une harpe. Et j'ai comme l'impression d'entendre le cheval de son cavalier, non pas hennir - ça jamais ! -, mais respirer musicalement lorsqu'il va faire échec." Et la musique, tout comme la langue poétique d'Unamuno, va comme un gant au jeu.

Le roman de Don Sandalio, joueur d'échecs de Miguel de Unamuno, Editions du Rocher 1997, 94 p., 7 €.

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