jeudi 4 mars 2010

Un combat


Une fin d'après-midi au jardin du Luxembourg, un beau jeune homme s'installe à un échiquier face au héros local vieillissant, tous les spectateurs, victimes impuissantes du second, se rassemblent pour voir tomber leur bête noire. Et pourtant...

La symbolique de l'affrontement sur l'échiquier, espace circonscrit qui ne pardonne aucune erreur, est le thème central de la littérature du jeu. Affrontement digne des héros de l'antiquité, le joueur d'exception, par sa supériorité, est quelqu'un dont on ne peut comprendre la stratégie - car pour cela il faudrait être son égal - celle-ci paraissant de fait mystérieuse et donc magique au spectateur. Sans doute le nombre limité de pièces et l'absence totale de hasard accroissent encore l'impression que le grand joueur est un peu sorcier. Car tout est visible au spectateur attentif, et chaque joueur possède des pièces semblables et des chances équivalentes. Et pourtant...

Patrick Süskind prend à rebrousse poil le récit sur le jeu et pose la question de ce qui fait un grand joueur, un héros. A quoi le distingue-t-on d'un imposteur ? Est-on un héros dans le regard des spectateurs, dans leur désir, ou dans leur imagination seulement ? Qu'est-ce que vaincre, qu'est-ce que perdre ? Quelle est la place réelle du jeu dans le rituel ludique ?

Et pourtant cette nouvelle originale, en pied de nez au récit du genre, souffre d'un trait gras et appuyé qui désactive le ressort principal de l'intrigue : l'incertitude. Le suspens est à peu près nul alors que la réflexion qui la sous-tend est intéressante : le résultat est donc caricatural, comme si l'auteur ne croyait pas à sa propre histoire.

Et pourtant... Une curiosité à découvrir.

Un combat et autres récits de Patrick Süskind, Fayard 1996, p. 17-39, 3 €.

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