Le parangon des romans sur le jeu est un roman qui s'interroge sur le génie sur fond de montée de l'idéologie fasciste dans le monde. Dernier roman de Zweig, publié à titre posthume, il use d'une langue de toute beauté. On peut certes lui reprocher, dans la droite ligne des nouvelles de Goethe, un aspect un peu trop démonstratif, mais les réflexions qu'il portent sur le jeu, sont aussi pertinentes que merveilleusement exprimées.
Par exemple, à propos du jeu d'échecs : "N'est-ce pas aussi une science, un art, ou quelque chose qui, comme le cercueil de Mahomet entre ciel et terre, est suspendu entre l'un et l'autre, et qui réunit un nombre incroyable de contraires ? L'origine s'en perd dans la nuit des temps, et cependant il est toujours nouveau, sa marche est mécanique, mais elle n'a de résultats que grâce à l'imagination ; il est étroitement limité dans un espace géométrique fixe, et pourtant ses combinaisons sont illimitées. Il poursuit un développement continuel, mais il reste stérile ; c'est une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n'établit rien, un art qui ne laisse pas d'oeuvre, une architecture sans matière..."
Voici une belle description, entre inutilité objective et fascination subjective, de l'attrait que peut exercer le jeu sur l'homme. Le parallèle entre le jeu et l'être humain y est en outre parfaitement dessiné : qu'y a-t-il à la fois de moins productif et, donc, de plus humain que de jouer ? Le jeu ne constitue-t-il pas la symbolique ultime de toutes les actions humaines ? N'est-il pas ce livre sans fin qui sauve physiquement le héros, et le perd psychiquement ? Une parabole de la lutte éternelle du pouvoir contre l'imagination ?
Un très bel hommage, au delà des échecs, à cet "art sans oeuvre" qu'est le jeu.
Le joueur d'échecs de Stefan Zweig, Nathan 2008, 125 p., 3.90 €
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