Lorsque je critique un ouvrage, je m'attache dans la mesure du possible à en tirer des éléments positifs, même si ma critique est globalement négative. Jeux de velus est de ce point de vue un véritable défi. D'abord la présentation : un titre plein d'ironie, un éditeur qui n'est pas classé parmi les éditeurs scientifiques, une quatrième de couverture qui commence par : " Jouer ! Qui joue et qu'est-ce que le jeu ?" On s'attend obligatoirement à une vulgarisation dans le bon sens du terme. Il n'en est rien. C'est donc un ouvrage scientique ? J'en doute, malgré les 33 (!) pages de bibliographie. C'est un galimatias inclassable, dont on peine à retirer quoi que ce soit.
Critique récurrente : le style. Insupportable, il est indescriptible : entre circonlocutions sans fin, mots ampoulés, vocabulaire anglicisant exagérément scientifique et syntaxe de collégien. Jugez plutôt : "Activation favorisée par une large atténuation de l'agressivité vis-à-vis de l'Autre sous la férule du septum obéissant à quelques rétroactions sensorielles jugées opportunes par on ne sait quoi, l'hypothalamus latéral, par exemple, lequel, en plus, en ferait une jouissance, lorsqu'il le veut bien." (p. 183). C'est incroyable mais tout le livre est écrit comme cela, vous obligeant sans cesse à relire ce qui vient d'être lu pour ne pas être complètement perdu. Je ne peux imaginer que quelqu'un ait revu ce texte avant de l'éditer, il défie tout sens cartésien. C'est tout à la fois abscons, prétentieux, évasif, maladroit et creux.
Il semble que l'auteur déguise la vacuité et l'imprécision de sa pensée sous une expression dont il se moque en permanence, des fois qu'elle serait trop clairement fausse. Cette distanciation, qui jette la suspicion sur tout ce qui est écrit, devient en outre difficilement supportable quand l'auteur fait de l'humour durant plusieurs chapitres où il ne nous épargne aucun détail de vivisection : rats drogués, énucléés, trépanés, etc. pour aboutir à cette conclusion édifiante : "Voilà, c'est tout. C'est rien. Si, un point encore, ce jeu est le fruit d'une alchimie fragile." Terrible... Alors un doute nous étreint : est-ce tout ce que la biologie a à nous apprendre du jeu ?
Heureusement, l'auteur, pour évoquer le jeu, s'est senti le devoir d'assimiler quelques ouvrages d'épistémologie ludique qui lui permettent de se moquer de la définition de Caillois à propos du jeu en début d'ouvrage, avant de reprendre sa classification en fin d'ouvrage parce qu'à présent elle l'arrange. Tout est à l'avenant. On arrive même à lire en fin de raisonnement que quiconque a observé un animal jouer a pu constater que le jeu provient d'un trop plein d'énergie. Evidemment, si pour conclure un ouvrage "scientifique", on convie l'évidence et monsieur-tout-le-monde comme preuve, c'est un peu mince. Il faut savoir que la thèse du surplus d'énergie a été imaginée par Herbert Spencer en... 1857, et qu'elle est aujourd'hui largement remise en cause, par exemple par la synthèse de Thomas Power et Stéphane Jabob, Petits joueurs, que nous avons critiquée ici même, et qui apparaît en comparaison un modèle de science et de vulgarisation intelligente.
Un livre ni fait, ni à faire. Les rares passages à sauver sont tellement flous qu'il est très difficile de savoir s'ils sont réellement pertinents ou si c'est nous qui leur donnons du sens. Affligeant.
Jeux de velus : l'animal, le jeu et l'homme de Claude Bensch, Odile Jacob 2000, 297 pages, 22 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire