Sous un titre peu vendeur, se cache sans doute la meilleure analyse sociologique que j'ai lue à ce jour sur le jeu. Comme quoi ce n'est pas forcément quand l'auteur se réclame de cette discipline ou que c'est marqué dessus que c'est forcément intéressant. Si le début pouvait laisser craindre le pire, puisque coup sur coup Gilles Brougère nous explique, citations à l'appui, qu'une définition réduit le réel (la belle affaire), que la vérité existe (ah mince, et ça ressemble à quoi ?) et que définir le jeu est impossible (comprenez : je n'y suis pas arrivé, donc c'est impossible). Ce qui n'empêche heureusement pas l'auteur de poser en conclusion sa propre définition du jeu, et même de déclarer : "Qui veut produire un discours scientifique doit construire son concept de jeu", comme quoi il a bien fait d'écrire ce livre, même si encore une fois, analyser le jeu à travers les circulaires pédagogiques, comme il le fait sur 200 pages, est plus pertinent après l'avoir défini qu'avant...
Voilà pour les défauts. Passé ce faux départ, G. Brougère prend le parti d'observer le jeu non tel qu'il est pratiqué dans les écoles, mais tel que l'état prétend qu'on l'y pratique, du moins qu'on devrait l'y pratiquer, et ce depuis deux siècles. Ce qui est passionnant c'est que le ministère n'est pas avare de justifications et d'explications : on peut ainsi observer comment il est possible de mettre en place une éducation par le jeu en contradiction avec la théorie qui prétend expliquer celle-ci. Et comment ceux qui sont chargés de l'appliquer défendent un système qu'on leur a vendu mais dont il ne comprennent pas la finalité... qu'ils sont pourtant chargés de développer. Loin de jeter l'opprobre sur la profession d'instituteur, cette analyse éclaire par ricochet l'attitude ambivalente de toute une société face au jeu : "Les jeux de l'enfance reflètent indubitablement les idéaux de la société adulte ; et le jeu est un processus de socialisation qui prépare l'enfant à prendre sa place dans cette société." (Bruner cité par Brougère, p. 254).
A rebours d'autres ouvrages, Brougère juge peu, bien qu'on devine sa position, ce qui permet pour une fois au lecteur d'y trouver et d'y piocher peut-être plus que l'auteur n'y a mis, tant ses exemples sont riches et pertinents, comme c'est le cas dans cette conclusion du lien entre jeu et éducation, toujours empruntée à Brunner (p. 257) : "Le jeu libre donne à l'enfant une première possibilité absolument déterminante d'avoir le courage de penser, de parler et peut-être d'être vraiment lui-même." Comme quoi la sociologie du discours est parfois plus féconde que celle de l'observation... Ecrit simplement, sans fioriture, citant abondamment ses sources, laissant le lecteur analyser tout en le guidant dans sa propre réflexion, ce livre formateur donne à comprendre plus qu'à juger. Une belle leçon de pédagogie, où le moins vaut le plus. Et un livre essentiel sur le jeu tel qu'on le pense.
Jeu et éducation de Gilles Brougère, L'harmattan 1995, 284 p., 26.50 €.
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