Quelques années après Les ficelles du métier, Howard Becker remet le couvert, et tente, sans forcément y arriver, d'élargir cette fois son propos à l'ensemble des sciences sociales. Plus réaliste, il abandonne toute ambition de plan, et ne livre la plupart du temps que des analyses sans conclusions, laissant au lecteur, en vertu du principe de neutralité, se faire sa propre idée de la question. Comme il s'agit de cours juxtaposés on trouve également nombre de redites. Si on apprécie l'apparente honnêteté intellectuelle de l'auteur qui ne dissimule pas son résultat (ce sont des cours des années 80, ce n'est pas classé, j'ai laissé le lecteur libre de ses interprétations) ni sa méthode (cette étude a été refusée par tous les comités scientifiques), on a inversement l'impression qu'il nous donne à lire un énième brouillon de la synthèse qu'il n'arrive pas à écrire sur le sujet. Et l'on reste davantage dans l'anecdote, l'exemplification et le plaidoyer que dans la science.
Ainsi l'auteur prétendait dans Les ficelles du métier, son ouvrage précédent, qu'un problème en sociologie est un problème pour toutes les sciences sociales, force est de constater que c'est loin d'être le cas. Ainsi l'un des axes du livre déplore que les sociologues soient contraints de ne pas utiliser de nouvelles représentations sous peine que personne ne fasse l'effort de les comprendre : "Les fabricants de représentations ont beau faire, si les utilisateurs ne remplissent pas leur rôle, l'histoire n'est pas racontée, ou bien elle n'est pas racontée comme les premiers l'avaient prévu." (p. 296). La réponse des cogniticiens est pourtant simple : si le lecteur ne comprend pas, c'est que c'est incompréhensible. Il faut donc simplement que la représentation soit acceptable, utile et utilisable pour ceux à qui l'on s'adresse, car à quoi sert de faire mieux si l'on ne sait pas au moins se faire comprendre ? Et c'est sans doute pour cela qu'il existe des représentations types... que critique (in)justement Becker.
Pourtant Comment parler de la société, en introduisant la fiction comme un objet sociologique, ouvre une piste à la fois originale est intéressante, étayée par des exemples très pertinents, comme celui de la fiction La monnaie du pays de David Antin. Et rien que pour cela le livre de Becker vaut la lecture. Pour le reste, le titre apparaît davantage comme une question angoissée, voire un constat d'impuissance posé par un auteur désemparé, s'apercevant sur le tard que la sociologie n'a pas le monopole de la société, et que ce n'est pas forcément elle qui en parle le mieux : "Perec décrit l'ordinaire, le quotidien. En fait, au fur et à mesure que j'essaie de rendre accessible ce qu'il a fait dans ce petit livre, je me trouve de plus en plus muet, comme si pour le décrire que répéter et énumérer ce qu'il a déjà écrit, et ceci n'a guère d'utilité. A lire les descriptions de Perec, on succombe au sentiment envahissant qu'il s'agit là de quelque chose de très important, mais sans bien savoir quoi." (p. 272). Encore une fois, on ne peut s'empêcher de penser que soit c'est honnête et le chapitre aurait dû être réorganisé, soit il faudrait sérieusement que le sociologue se (re)mette au travail. A moins que celui-ci n'ait réellement plus rien à nous apprendre ?
Comment parler de la société de Howard Becker, La découverte 2009, 316 pages, 24 €.
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