Contrairement à un titre qui pourrait laisser présager un ouvrage de sociologie, cet essai est à l’image de la production des années soixante-dix : essentiellement un discours mondain sur le jeu. Très inspiré par Le symbolisme des jeux de Jean-Marie Lhôte, Louis-Jean Calvet, tout en se moquant de la cosmogonie que cet auteur essaie de tisser entre les jeux, ne fait guère différemment, et sans fil conducteur de surcroît. Après l’introduction de rigueur, qui se défend de vouloir classer, glorifiant la répétition et l’incertitude, le livre présente plusieurs jeux sous forme de fiches dans un abécédaire, c’est-à-dire en renonçant en définitive à toute organisation. Hésitant entre approche formelle et historique, la conclusion ne fait que constater que le champ du jeu est un miroir de notre société.
L’introduction apporte cependant quelques réflexions originales, par exemple en contestant implicitement la position d’Henriot : « Force nous est de reconnaître que le jeu peut-être évident pour le locuteur d’une langue particulière, recouvrant sans ambiguïté tel ou tel domaine sémantique. Que ce domaine ne soit pas le même d’une langue à l’autre n’empêche pas qu’il y ait, entre ces divers champs sémantiques, une intersection, une sorte de lieu sémantique. » (p. 18-19) En effet, de même qu’en français nous ne faisons pas de différence entre louer, pour un bailleur, et louer quand on est locataire, de même un peuple qui ne partage pas toutes acceptions du mot jeu n’en comprend pas moins la réalité que le terme recouvre ou pourrait recouvrir.
D’autre part, en tant que sémiologue spécialiste de Barthes, Louis-Jean Calvet propose une approche différente, qui tient compte des limites inhérentes à sa méthode comme à son objet, montrant que l’une et l’autre se définissent mutuellement : « D’un côté, donc, une technique de description avec ses variantes et ses conflits (parfois fondamentaux), de l’autre un ensemble d’objets ou de comportements déjà en partie délimités par l’idéologie courante et sur lequel va intervenir cette technique. Bien sûr la description invente aussi, d’une certaine façon, son objet d’étude, mais elle le confirme en même temps : il existe puisque il est donné, il existe doublement puisqu’il est créé, recréé par une certaine description. » (p. 26) Dès lors, le jeu que nous portons chacun en nous, appelle et génère une analyse spécifique qui elle-même porte en elle la réalité collective du jeu, même si cette approche reste encore à définir.
La solution est entrevue en conclusion : « Que l’on prolonge le regard Saussurien, qu’on adopte son approche, approche qui au bout du compte se caractérise par le fait qu’elle se pose la question « Comment la langue dit-elle ? » et non pas « Que dit la langue ? ». (p. 197) Appliquée au jeu, cette proposition déplace le regard du contenu sur le contenant : le problème essentiel n’est pas de savoir ce qu’est le jeu, problème qui dépend essentiellement de l’angle par lequel on l’aborde, mais plutôt de connaître les processus que le jeu agite en nous, puisqu’il est lui-même processus, et qui nous conduisent à le considérer depuis un angle plutôt qu’un autre. Le jeu, comme la langue, est un véhicule de la pensée et des émotions, c’est donc le medium que nous devons examiner, non la pensée pour elle-même. Que l’on sache pourquoi on joue et nous saurons ce qu’est le jeu.
Un essai anecdotique, trop superficiel et éclaté, qui demeure cependant pertinent dans ses rares analyses, à savoir son introduction et sa conclusion.
Les jeux de la société de Louis-Jean Calvet, Payot 1978, 226 pages, épuisé.
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