Sur la forme, se présentant comme une introduction à la théorie des jeux, l’ouvrage de Nicolas Eber se distingue d’autres sur le sujet par les jeux qu’il propose au lecteur, et l’absence de chapitre sur les limites de la théorie des jeux. Sans être incompréhensible, on regrette cependant que l’auteur n’ait pas conscience des difficultés du lecteur auquel il s’adresse, pas forcément, voire forcément pas, mathématicien ou économiste, ni n’arrive toujours à clarifier sa pensée, par exemple sur les équilibres bayésiens : « Cette section est incontestablement la plus difficile du livre. Dans le cas d’une première approche de la théorie des jeux, le lecteur pourra s’en dispenser… » (p 42). Si l’auteur jargonnait moins et recourrait continuellement à l’exemple après avoir annoncé une notion, il serait tout à fait compréhensible.
Mais préférant la formule mathématique (« Il existe un troisième équilibre de Nash, en stratégies mixtes celui-là, dans lequel chaque joueur joue A avec la probabilité ¼ et B avec la probabilité ¾ et obtient un gain espéré égal à 1 » (p.80)) au français, la matrice à l’exemple, ce petit opuscule est relativement (et inutilement) exigeant à lire. D’autant que la théorie suppose que tout en tenant compte de l’intérêt de l’autre joueur (il a avantage à jouer A car cela lui rapporte davantage), son résultat nous importe peu (il a fait plus de points que nous) nous trompe souvent sur le sens du jeu en question. En effet la théorie des jeux ne se soucie que du gain des joueurs sans se poser la question s’ils sont partenaires ou adversaires. Si bien que le célèbre dilemme du prisonnier n’a aucun sens si les deux joueurs se font confiance. Inversement, deux joueurs en compétition peuvent préférer gagner moins si leur choix accroit le différentiel entre eux ou fait perdre finalement l’autre joueur.
On suit donc avec un zeste de circonspection les théories s’enchaîner en constatant le divorce entre le présupposé des résultats et le résultat réel, d’autant que la compréhension des consignes, contrairement à ce que semble croire l’auteur, est loin d’être évidente pour le néophyte. On s’en rend compte en jouant aux jeux proposés, la solution nous montrant qu’en procédant d’une logique différente, ou simplement en ayant mal interprété les consignes, le jeu prend un sens tout différent. Il nous faut pourtant attendre la page 119 (sur 126) pour lire enfin : « Plusieurs modèles théoriques récents incorporent ces motivations sociales. L’idée générale de ces modèles est de supposer que le niveau de satisfaction d’un joueur ne dépend plus exclusivement de son propre gain, mais dépend également des gains des autres joueurs. »
C’est dire toute la distance qu’il existe entre les vrais jeux, où notre expérience intègre la relation à l’autre, sa connaissance, notre intuition, le contexte du choix (chronologie...), voire l’absence de solution, toute chose dont la théorie des jeux ne rend pas compte. Reste que celle-ci est utile pour les comportements collectifs, et que la théorisation de la stratégie, en tant que suite de choix, offre des perspectives intéressantes, pour les véritables jeux cette fois.
Un ouvrage pertinent qui mériterait d’être plus accessible.
Théorie des jeux (2004) de Nicolas Eber, Dunod 2007 (2e édition), 126 pages, 9.80 €.
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