Derrière
ce beau titre, suivi d’une introduction avant-gardiste qui loue le jeu vidéo à
travers Tomb raider, on pouvait
s’attendre à un essai audacieux, tout au moins à une synthèse plaisante de la
question. Or l’ensemble, outre d’être passablement confus, ne fait (presque)
jamais l’effort d’annoncer ce qu’il prétend traiter, de l’analyser puis de
l’organiser. Il faut en revanche deviner, à travers la critique faite à la
pensée académique, ce que celle-ci est supposée être. On a ainsi la désagréable
sensation d’être le destinataire de confidences dont nous ne connaissons pas le
contexte. Confidences écrites dans un langage inutilement technique, où l’on
perd la ligne directrice : « La peinture relève de la mimésis iconique,
alors que la photographie est un dispositif à la fois iconique et indiciel,
c’est-à-dire qu’elle fait partie de la classe des représentations mimétiques
dans lesquelles la représentation est causée par ce qu’elle représente. »
(p. 293). Si ce passage n’est pas incompréhensible, il manque cruellement, à
l’image du reste de l’ouvrage, de clarté, de concision et de didactisme, si
bien que l’on retire peu de choses des 350 pages censées faire le tour de la
question.
Au
chapitre des bonnes surprises, la distinction pertinente entre les différentes
composantes de la fiction, à savoir l’imitation, la feintise, la représentation
et la connaissance, permet de mieux comprendre comment la fiction est confondue
avec ses dérivés qui ne l’incluent pas forcément, et pourquoi elle est souvent
décriée : inférieure à la réalité si elle l’imite, mensonge et source de
confusion si elle se fait passer pour elle, simplification si elle la résume,
théorie fumeuse si elle prétend en rendre compte. Le lien avec le jeu est en
outre souligné, puisque c’est dans le jeu que l’enfant découvre la fiction, ou
plutôt son contraire et complément, la réalité, qui naît d’elle. Quelques
pensées éclairantes dépeignent ainsi le fonctionnement de la feintise ludique :
« Dans le cas de l’immersion fictionnelle en revanche, la dualité est
interne au plan du contenu représentationel : ce contenu est appréhendé dans le
cadre d’un état mental “biplanaire” caractérisé par une scission entre
traitement préattentionnel et traitement attentionnel des représentations. La
situation de l’immersion fictionnelle pourrait en fait être comparée à celle
dans laquelle nous nous trouvons lorsque nous sommes victimes d’une illusion
perceptive tout en sachant qu’il s’agit d’une illusion. En effet, une illusion
perceptive au sens technique du terme continue à être opératoire même lorsque
je suis parfaitement conscient du fait qu’il s’agit d’une illusion,
c’est-à-dire lorsque je suis à même d’empêcher qu’elle se transforme en
croyance perceptive (erronée). » (p. 191). C’est une façon, certes jargonnante
mais efficace, d’expliquer le miracle de la fiction ludique, de laquelle on est
jamais tout à fait dupe et qui pourtant ne cesse de nous enchanter.
On
regrette surtout cette impression de ne pas apprendre grand chose au regard de
l’article Quelles vérités pour quelles fictions ?. Et donc que le
contenu de ce livre indigeste aurait pu nourrir un article de fond, plus
didactique, plutôt que de se comporter comme une longue dissertation dont la
pensée est parfois difficile à suivre. Si l’on voulait railler le titre, on
dirait qu’à défaut de répondre à la question qu’il pose, l’auteur aurait au
moins pu s’attacher à définir ce qu’est la fiction. Or l’ouvrage dit davantage
ce qu’elle n’est pas, ou pas seulement, plutôt que circonscrire clairement ce
qu’elle est. Et c’est dommage.
Pourquoi
la fiction ? de Jean-Marie Schaeffer, Le seuil 1999, 346 pages, 26 €.
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