vendredi 11 novembre 2011

Pourquoi la fiction ?

Derrière ce beau titre, suivi d’une introduction avant-gardiste qui loue le jeu vidéo à travers Tomb raider, on pouvait s’attendre à un essai audacieux, tout au moins à une synthèse plaisante de la question. Or l’ensemble, outre d’être passablement confus, ne fait (presque) jamais l’effort d’annoncer ce qu’il prétend traiter, de l’analyser puis de l’organiser. Il faut en revanche deviner, à travers la critique faite à la pensée académique, ce que celle-ci est supposée être. On a ainsi la désagréable sensation d’être le destinataire de confidences dont nous ne connaissons pas le contexte. Confidences écrites dans un langage inutilement technique, où l’on perd la ligne directrice : « La peinture relève de la mimésis iconique, alors que la photographie est un dispositif à la fois iconique et indiciel, c’est-à-dire qu’elle fait partie de la classe des représentations mimétiques dans lesquelles la représentation est causée par ce qu’elle représente. » (p. 293). Si ce passage n’est pas incompréhensible, il manque cruellement, à l’image du reste de l’ouvrage, de clarté, de concision et de didactisme, si bien que l’on retire peu de choses des 350 pages censées faire le tour de la question.

Au chapitre des bonnes surprises, la distinction pertinente entre les différentes composantes de la fiction, à savoir l’imitation, la feintise, la représentation et la connaissance, permet de mieux comprendre comment la fiction est confondue avec ses dérivés qui ne l’incluent pas forcément, et pourquoi elle est souvent décriée : inférieure à la réalité si elle l’imite, mensonge et source de confusion si elle se fait passer pour elle, simplification si elle la résume, théorie fumeuse si elle prétend en rendre compte. Le lien avec le jeu est en outre souligné, puisque c’est dans le jeu que l’enfant découvre la fiction, ou plutôt son contraire et complément, la réalité, qui naît d’elle. Quelques pensées éclairantes dépeignent ainsi le fonctionnement de la feintise ludique : « Dans le cas de l’immersion fictionnelle en revanche, la dualité est interne au plan du contenu représentationel : ce contenu est appréhendé dans le cadre d’un état mental “biplanaire” caractérisé par une scission entre traitement préattentionnel et traitement attentionnel des représentations. La situation de l’immersion fictionnelle pourrait en fait être comparée à celle dans laquelle nous nous trouvons lorsque nous sommes victimes d’une illusion perceptive tout en sachant qu’il s’agit d’une illusion. En effet, une illusion perceptive au sens technique du terme continue à être opératoire même lorsque je suis parfaitement conscient du fait qu’il s’agit d’une illusion, c’est-à-dire lorsque je suis à même d’empêcher qu’elle se transforme en croyance perceptive (erronée). » (p. 191). C’est une façon, certes jargonnante mais efficace, d’expliquer le miracle de la fiction ludique, de laquelle on est jamais tout à fait dupe et qui pourtant ne cesse de nous enchanter.

On regrette surtout cette impression de ne pas apprendre grand chose au regard de l’article Quelles vérités pour quelles fictions ?. Et donc que le contenu de ce livre indigeste aurait pu nourrir un article de fond, plus didactique, plutôt que de se comporter comme une longue dissertation dont la pensée est parfois difficile à suivre. Si l’on voulait railler le titre, on dirait qu’à défaut de répondre à la question qu’il pose, l’auteur aurait au moins pu s’attacher à définir ce qu’est la fiction. Or l’ouvrage dit davantage ce qu’elle n’est pas, ou pas seulement, plutôt que circonscrire clairement ce qu’elle est. Et c’est dommage.

Pourquoi la fiction ? de Jean-Marie Schaeffer, Le seuil 1999, 346 pages, 26 €.

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