Célèbre
manuel de game design, A theory of fun est le premier
ouvrage des game studies, ces études émanant de professionnels qui
tentent de théoriser le champ du jeu vidéo, à partir du joueur, pour tenter de
comprendre ce que s’amuser veut dire. En observant ses enfants, l’auteur met
l’accent sur l’apprentissage et explique à partir de lui l’ennui, l’effort, la
motivation, les genres de jeux, ou le jeu comme un art. La démarche est peu
sourcée, comme c’est l’usage dans les réflexions américaines, en dépit de
quelques notes en fin d’ouvrage. L’avantage est d’apporter parfois des exemples
ou des réflexions originales, d’autre fois au contraire de substituer à la
réflexion informée le bon sens trompeur.
La force
particulière de cet essai tient a sa démarche didactique et humble, secondée
par un format à l’italienne rédigé sous forme de fiche, sur la page de gauche,
avec un dessin d’explicitation en regard, souvent humoristique. Cette approche
concrète revendique une simplicité assumée, qui dans sa quête de
démystification va souvent au-delà d’ouvrages plus ambitieux. Ainsi l’auteur
met au point une matrice d’analyse du jeu, librement inspirée de l’ennéagramme,
qui croise les types logiques de jeux (compétitif, collaboratif, solo) avec les
expériences ludiques possibles (constructive, déconstructive, expérientielle),
de manière pénétrante. Inversement, la réflexion ne dédaigne pas de mettre le
jeu en perspective : par rapport à l’art ou à la vie : « Le graal de la
conception de jeux est de faire un jeu où les défis se renouvellent sans cesse,
où les compétences sollicitées sont variées, et où la courbe de difficulté est
parfaite et s’adapte d’elle-même à nos capacités. Cela a déjà été fait
toutefois, et ce n’est pas toujours une partie de plaisir. On appelle ça la
vie. Peut-être y avez-vous joué ? » (p. 128).
Au
chapitre des regrets, le refus d’une approche universitaire fait s’éparpiller
le livre dans tous les sens, le système de fiches masquant mal le manque de
corrélation entre certaines d’entre elles, ou l’avortement de quelques
réflexions à moitié chemin. Ainsi, bien que l’auteur reconnaisse l’importance
d’expérimenter nos pulsions, celui-ci ne peut s’empêcher d’invoquer la morale
en appelant à la responsabilité des concepteurs. Or ce faisant, l’auteur
minimise la réalité de la violence symbolique au profit de la violence
explicite, ne se rendant pas compte que des jeux comme Mario sont des jeux de
destruction massive, ni que la fiction est la condition de la catharsis. Il
arrive également que l’auteur, emporté par son raisonnement, soutienne le contraire
de la réalité : si on aurait tendance à jouer aux jeux qu’on aime, et que
ceux-ci finissent par nous ennuyer, c’est que l’être humain rechercherait la
facilité, l’auteur soutient donc que ce serait dans les jeux que nous aimons
pas que, une fois l’effort consenti pour accepter d’y jouer, nous trouverions
le plus grand plaisir. C’est absurde puisque le jeu est non seulement libre et
volontaire, mais qu’en outre le plaisir, comme l’explique Bruno Bettelheim,
provient non de la difficulté, mais d’un besoin inconscient resté sans réponse.
Si l’ennui arrive, c’est que le jeu ne réussit plus à nous faire progresser
dans la résolution de ces besoins. Un jeu qui ne nous intéresse pas ne répond
tout simplement à nos préoccupations profondes.
Néanmoins
un ouvrage sur la conception de jeux qui part du joueur pour aboutir à la
conception, extrayant des fondamentaux une pensée originale, est une initiative
suffisamment rare pour être soutenue. D’autant que l’auteur fait preuve parfois
de fulgurance dans ses intuitions : « Les jeux ne seront jamais matures
aussi longtemps que les concepteurs les créeront avec des solutions finies aux
problèmes qu’ils ont imaginés. » (p. 191). A méditer. Une très bonne
introduction, claire et didactique, et plus profonde qu’il n’y paraît.
A theory of fun for game design de Raph Koster, Paraglyph Press 2005, 244
pages, 19.50 €.
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