Somme historique de plus de 600
pages, cette étude aux allures de thèse d’état fait presque le tour de la
question. Débutant à la façon des Jeuxdes Anciens par un catalogue des jeux en usage au Moyen Âge, il aborde
également les raisons du jeu, son déroulement, ses moments et ses lieux, son économie, ses dérives, sa symbolique et
ses représentations… C’est tout l’intérêt la démarche de Jean-Michel Mehl que d’analyser
le jeu moins à travers ses formes que ses fonctions, moins comme un objet que
comme un sujet.
Usant majoritairement de lettres
de rémission pour y puiser des exemples historiques, l’auteur ne dédaigne pas
la littérature médiévale où le jeu est davantage idéalisé. Lutte dont on sort vainqueur par l’esprit, l’adresse ou
l’élection divine, la victoire au jeu est l’attribut du héros et à travers lui,
figure l’élite qui s’en réclame. Tous les rois de France jouent, et François 1er
a même un budget dédié dont il n’a pas à rendre compte. Quant aux classes
populaires, les lettres de rémission fustigeant les blasphèmes, les accès de
colère meurtriers, les accidents, les accusations de triche et, plus encore, les
interdictions de jouer à répétition faites au peuple ne font qu’entériner le
succès du jeu dans les classes populaires. On peut dire qu’à la fin du Moyen
Âge le jeu est partout, ne serait-ce qu’au regard de l’explosion des sources
qui l’évoquent.
Au chapitre des critiques, la plus sensible pour le non historien reste la volonté un peu vaine d’exhaustivité. Le jeu est traité de tous les points de vue possibles, et la référence constante aux sources est souvent redondante. L’analyse est en revanche en retrait, alors même que le plan de l’ouvrage, à la fois par tiroir et chronologique, ne favorise pas le dialogue entre les différentes approches. L’auteur semble parfois accablé par la masse des informations dont il dispose, de même que le lecteur, dont la navigation truffée de notes est rendue difficile par leur renvoi en fin d’ouvrage. Bien que cette critique soit liée à la méthode historique, rares sont les passages qui dépassent le fait ponctuel et résument, comme le fait Rabelais, cité en conclusion de l’ouvrage, le tournant du Moyen Âge :
« Lorsque l’enfant de la Devinière veut illustrer l’application de la
clause unique de la règle qui gouverne la façon de vivre des Thélémites – le
célèbre « fay ce que voudras », cette maxime radicale puisqu’elle
« s’intime au présent… et gouverne le futur » -, il prend soin de
mentionner le jeu. Ce qui le fonde en liberté. « Par ceste liberté
entrèrent en louable émulation de faire tous ce que a un seul voyoient plaire.
Si quelq’un ou quelcune disoit : « Beuvons », tout
buvoient ; si disoient « Jouons », tous jouoient. » (p.
476). Associé à la liberté et au plaisir, le jeu n’est dès lors plus un loisir
de classe ou interlope, mais l’expression d’une façon de mener sa vie.
Une somme et une source
d’informations irremplaçable sur le jeu au Moyen Âge, d’une bien autre ampleur et portée que Les loisirs au Moyen Âge de Jean Verdon parce qu’elle traite du
jeu d’abord comme une activité humaine, mais qui aurait cependant gagnée à être
plus analytique et synthétique.
Les jeux au royaume de France : du XIIIe au début du XVIe siècle de
Jean-Michel Mehl, Fayard 1990, 631 pages, épuisé.
1 commentaire:
Bonjour ,
Merci pour ce site fort intéressant et vos réflexions !
Ce livre est malheureusement introuvable ou à un tarif exorbitant.
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