Girolamo Cardano (1501-1576) est un savant
italien connu surtout pour l’invention à laquelle son nom est attaché : le
cardan, c’est-à-dire le principe qui permet à un objet de garder son
inclinaison quels que soient les mouvements de son environnement. Mais Jérôme
Cardan, de son nom francisé, est surtout un mathématicien qui, s’il se
considérait avant tout comme un docteur en médecine, est le fondateur des
travaux sur les probabilités.
Certes il ne fut pas le seul, puisque
Galilée a rédigé ses Considerazione sopra il giuoco dei dadi (Considérations
sur le jeu de dés), dont il ne subsiste que des fragments vers 1600 à
l’intention de la noblesse Florentine et Christian Huygens fait paraître ses De
ratiociniis in ludo aleae (Calculs dans les jeux de hasard) en 1657,
alors que le Liber de ludo aleae (Livre des jeux de hasard) ne
paraît qu’avec la première édition complète de ses oeuvres en 1663. Mais la
date de rédaction date de 1565 environ, ce qui fait de Cardan le précurseur des
recherches sur les probabilités.
Le livre de Oystein Ore replace dans le
contexte de l’époque la pensée de Cardan en faisant un usage assez large de ses
autres oeuvres et plus particulièrement de son autobiographie (Ma vie). Sans
doute l’éclairage le plus pertinent concerne celui des disputes de savants à
travers les lettres de ses détracteurs, dont le lecteur actuel aurait de la
difficulté à imaginer la violence et les enjeux. Enfin l’auteur commente les
théories mathématiques de Cardan à l’aune des connaissances contemporaines sur
le sujet. C’est ainsi un témoignage sans prix sur l’élaboration de la pensée
scientifique de l’époque qui hésite toujours entre intuition, croyance et
fulgurance, et qui aurait sans doute mérité davantage de didactisme.
Mais plus encore, c’est la présence du
Liber de ludo aleae, intégralement traduit, qui est la raison
d’être de l’ouvrage, l’étude de O. Ore en constituant avant tout une
introduction savante. Si l’on excepte sa valeur de témoignage historique
concernant les probabilités, le Livre des jeux de hasard de Cardan vaut
essentiellement pour ses réflexions philosophiques sur le jeu qui portent,
égrènent et parfois perturbent le raisonnement mathématique. Par exemple :
« Si quelqu’un obtient un lancé tendant
plus qu’il ne le devrait dans une direction et moins dans une autre, ou bien
celui-ci est simplement toujours conforme à ce qu’il doit être, ou bien, dans
le cas d’un jeu de réflexion, il y aura une raison et un fondement à cela, et
ce n’est plus un coup du sort ; à moins que les résultats ne divergent à chaque
mise pour quelque autre facteur plus ou moins significatif. Il n’y a pas de
leçon rationnelle sur l’aléatoire à en tirer, si ce n’est qu’il s’agit
forcément de hasard. » (p.
215-216)
Au delà d’une expression sybilline, G.
Cardano met l’accent, aussi naïvement que ce soit, sur les limites des
rationalisations naissantes. Le hasard, soit la méconnaissance des causes, est
forcément irrationnel et indéchiffrable, car dans le cas contraire il ne s’agit
plus de hasard. Et ce faisant, Cardano annonce les recherches de la théorie des
jeux qui tente de réduire le hasard collectif à la simple somme d’intérêts
individuels contradictoires. Toute la problématique philosophique réside donc
dans cette tension en hasard perçu et hasard objectif, entre le champ exploratoire
des probabilités qui s’intéresse à circonscrire les risques, et celui de la
théorie des jeux qui cherche à anticiper les résultats, les ramenant dos à dos
: si un dé a 1 chance sur 6 de donner tel résultat, certes lié à la façon dont
il va être lancé, le résultat réel reste le fruit du hasard et toute la science
n’y peut rien, augurant la victoire du jeu sur les efforts de l’homme à le
démystifier, le désenchanter :
« Mais
les hommes accoutumés à un travail assidu et journalier, lorsque le mauvais temps
les force à l'interrompre, s'amusent à jouer à la paume, aux dés, aux osselets,
ou imaginent quelque autre distraction pour occuper leur loisir. »
(p. 241). Citant en matière de conclusion le De Oratore (III, 15, 58) de
Cicéron, G. Cardano redonne ainsi au jeu sa valeur plaisante et positive, que
la recherche de sa solution, au double sens du terme, ne saurait remplacer.
Un essai méconnu, érudit et instructif.
Cardano the gambling Scholar de Oystein Ore, Princeton University Press 1953, 249 pages, épuisé.
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