Nouvelle brève à la manière des Contes glacés (1974) de Jacques Sternberg, mais avec un style plus descriptif que narratif, plus
impressionniste qu’expressionniste, plus épicurien que percutant. Dans la lignée
de La première gorgée de bière et autres
plaisirs minuscules (1997), Philippe Delerm, redécouvreur des plaisirs
simples et sincères ne pouvait qu’être le contempteur du jeu, plaisir
artificiel et factice. A moins que… En effet, c’est plus ici une catégorie de
joueurs qui joue mécaniquement, sans âme : « Elles font peur, les petites vieilles du jackpot. Depuis longtemps
elles ne savent le goût des prunes ou des cerises. Elles n’ont besoin de rien,
envie de rien. Mais elles veulent de l’argent avec une soif mécanique. »
(p. 26). Notant avec justesse que les casinos existent d’abord pour ces joueurs
compulsifs, qui jouent par maladie et non par plaisir, leur jeu est desséchant.
En outre, alors que le jeu auquel elles se
livrent est mécanisé, hasardeux et cupide, Philippe Delerm ne se livre pas à
une dénonciation de sa nature mais bien de sa fonction : est-ce encore un
jeu celui qui peut se jouer sans fin et sans plaisir : « Soudain ça y est, les rouleaux s’arrêtent
tous ensemble sur les cerises ; il y un « tchac » très mat, très
sec, tout de suite une pluie de pièces qui s’abat dans la rigole, en bas. Cela
dure, les autres joueurs jettent un coup d’œil en biais, certains s’arrêtent, écœurés
par la longueur de l’averse. Mais les petites vieilles ne ramassent même pas
les pièces. Elles jouent gros jeu. Elles ont le temps. Aucune joie sur leur
visage. » (p. 25-26). Car si le jeu a un caractère magique, c’est que
l’homme lui sacrifie sciemment ce qu’il a de plus précieux, son temps, en
échange d’un plaisir tout aussi fugace.
Mais si la transmutation ne se fait pas, si
le plaisir ne se nourrit pas d’un peu de vie, alors le jeu apparaît comme un
asservissement, un enfer avant l’heure fatidique : « On aimerait savoir qu’à un moment précis
leur cœur a battu juste un peu plus vite. Mais elles ne veulent avoir personne
à qui le dire. » (p. 26-27). Et quand la journée de ces veuves prend
fin, qu’elles ramassent leur pécule vain puisque qu’il n’est qu’un moyen vide
de sens, elles s’en retournent vers la vie dont elles se sont exclues :
fantômes croisant des adolescentes dans la fleur de l’âge et des enfants en
promenade. Et le narrateur de conclure d’une phrase nominale, « Jouer. », l’oxymore entre
l’activité et sa signification, telle la lutte de Sisyphe.
Une vision subtile teintée d’ironie, qui va
au-delà des oppositions traditionnelles entre jeu et vie réelle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire