Cette invitation rédigée, une fois n’est
pas coutume au point Seuil, en gros caractères, précédée d’une préface et d’une
introduction, de plusieurs schémas commentés, alors même qu’elle ne compte
qu’une centaine de pages, est tout sauf didactique. Alors même que l’auteur
l’explique comme une synthèse de la pensée en sciences cognitives, qui part du
biologique vers le culturel, des sciences cognitives historiques vers la
recherche actuelle, on ne peut s’empêcher de douter de l’intérêt d’une
invitation qui fait tout sauf envie. Symptomatique de cet ouvrage, la
définition que donne Francisco Varela de la cognition au début de son
ouvrage : « Le traitement de
l’information : la manipulation de symboles à partir de règles. »
(p. 42) puis la nouvelle définition, une fois le lecteur informé et initié à
l’énaction : « L’action
productive : l’historique du couplage structurel qui énacte (fait-émerger)
un monde. » (p. 112). Personnellement, je trouvais la première
définition beaucoup plus claire, donc plus profonde.
Manifeste de l’énaction, point d’orgue de
cet essai, je n’ai donc pas réussi à comprendre clairement de quoi il en
retournait à partir de ce qui en est écrit. L’énaction est assimilée à
l’émergence, donc à une pratique créative de la pensée à partir d’un capital biologique
commun : « La plus importante
faculté de toute cognition vivante est précisément, dans une large mesure, de
poser les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie.
Elles ne sont pas pré-définies mais énactées, on les fait-émerger* sur un arrière-plan, et les critères de
pertinences sont dictées pas notre sens commun, d’une manière toujours
contextuelle. » (p. 91). L’idée pour Francisco Varela, en tout cas
telle qu’interprétée par Edgar Morin, est que nous ne sommes moins un animal
programmé, qu’un animal stratégique, que la cognition s’auto-organise et donc
s’auto-produit et devient cause d’elle-même, que la pensée comme le cerveau est
dynamique, les influx nerveux locaux se stimulant les uns les autres pour
produire une pensée globale qui rétroagit sur les parties productrices et
participe à leur organisation.
L’idée la plus importante étant sans doute
que la cognition est un moyen de « poser
les questions pertinentes » plus qu’un appareil conçu pour y apporter
des réponses. De là à en faire le but de la pensée que cette cognition nourrit,
il n’y a qu’un pas qu’Edgar Morin franchit en élaborant de sa pensée complexe.
Le jeu pour sa part, du moins celle qui nous intéresse, fait une timide
apparition à la page 96 en légende d’un schéma nébuleux comme les affectionne
l’auteur : « Pour l’espace des
échecs, il semble possible de dessiner un réseau de relations dont les nœuds
représentent chaque élément pertinent. » Ce réseau est opposé à celui,
considéré comme infini, des informations que doit traiter le conducteur d’une
automobile. Le plus surprenant est que l’auteur ne semble pas comprendre que si
le jeu est déjà un espace organisé cognitivement, au contraire de la réalité, c’est
que la lutte que décrivent les échecs est un modèle qui, en tant que tel, ne
retient du réel que des éléments saillants qui font symboliquement sens entre
eux. Le jeu est bien un système symbolique organisé à partir de règles,
exactement la définition que l’auteur a donnée de la cognition, la comparaison
avec la réalité brute étant donc sans objet, alors même qu’à l’inverse, le
conducteur d’une automobile sélectionne uniquement du monde qui l’entoure les
informations qui font sens pour son activité de conduite, tissant un modèle ni
plus ni moins complexe qu’un système ludique…
Une synthèse qui brouille les cartes plus
qu’elle ne les révèle, et dont la lecture est loin de susciter le plaisir que
suggère l’invitation du titre.
Invitation
aux sciences cognitives de Francisco Varela, Seuil 1988, 123 pages, 5 €.
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