samedi 9 juin 2012

La méthode 3. La connaissance de la connaissance

« Les grandes œuvres le sont malgré leur achèvement, et certaines sont grandes parce que inachevées : ainsi, l’achèvement des Pensées de Pascal en discours apologétique aurait appauvri l’œuvre elle-même, et c’est en somme la mort prématurée de Pascal qui  déterminé le chef-d’œuvre. Aussi nous semble-t-il souhaitable que toute œuvre soit travaillée par la conscience de l’inachèvement. Que toute œuvre non pas masque sa brèche, mais la marque. Il faut, non pas relâcher la discipline intellectuelle, mais en inverser le sens et le consacrer à l’accomplissement de l’inachèvement. » (p. 30).

Quand Edgard Morin écrit le dernier (provisoirement) tome de sa méthode, il sent bien qu’il est impossible d’y mettre un point final, car comment écrire une méthode de la pensée humaine qui l’embrasse toute et, ce faisant, s’embrasse elle-même. A l’instar du théorème de Gödel cher à l’auteur (qui postule que les éléments de démonstration de tout théorème lui sont extérieurs)  et des limites propres qu’il pose à la pensée complexe, celle-ci est par essence une pensée de l’inachèvement, et la forme de son essai rejoint ici le fond. Plus égal dans la démonstration que le tome suivant (Les idées),  il est aussi moins stimulant, on n’y trouve pas encore énoncées les grandes fonctions de la pensée complexe, et c’est donc davantage les conditions biologiques de la connaissance qui sont ici énoncées, particulièrement la computation, que la connaissance elle-même, ou comme dirait l’auteur : l’opérateur que l’objet.

Le rapport au jeu est moins explicite que dans d’autres écrits (par exemple Le paradigme perdu) et se fait au détour involontaire d’une évocation, celle de l’intelligence : « Toutefois, c’est bien chez les vertébrés, particulièrement oiseaux et mammifères, que se développe un art stratégique individuel, comportant conjointement la ruse, l’utilisation opportuniste de l’aléa, la capacité à reconnaître ses erreurs, l’aptitude à apprendre, toutes qualités proprement intelligentes, qui, réunies en faisceau, permettent de reconnaître un être intelligent. Ainsi, l’intelligence précède l’humanité, précède la pensée, précède la conscience, précède le langage... » (p. 178). Le hasard dicte ainsi la stratégie, et celle-ci contient la ruse qui n’est autre que l’art de jouer avec la règle. Le processus d’apprentissage, qui implique le passage du savoir au savoir-faire, définit les animaux « supérieurs », ceux-là mêmes qui jouent plus que les autres, puisque leur jeunesse est plus longue pour accroître leur adaptation (comme l’a énoncé Edouard Claparède).

La connaissance est avant tout pour Edgar Morin le cadre de pensée qui produit le lien entre les connaissances, et qui ne peut donc aboutir que sur l’idée, qui pousse l’homme à chercher à comprendre le monde, à le connaître. A lire avant le 4e tome, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, pour suivre la gestation de sa pensée complexe.

La méthode 3. La connaissance de la connaissance d’Edgar Morin, Seuil 1986, 233 pages, 7.60 €.

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