Une bande dessinée qui commence sur ces
mots : « Avec Raymond Calbuth,
le peignoir matelassé reprend du poil de la bête, les charentaises redressent
la semelle, le lyrisme hollywoodien envahit l’arrière cuisine, fait vibrer la
porte du frigo et frissonner la gazinière. La grande muraille de Chine est au
bout du couloir (à gauche). Voici la vibrante saga de l’homme face à la
conspiration des pots de yaourts qui fuient et de la confiture qui dégouline
par les trous de la tartine. Entrez dans la Grande Aventure par la porte du
garage (attention à la marche). » ne peut pas être mauvaise. Pendant casanier
et fantasque de Robert Bidochon, Raymond transforme tout ce qui le touche de
près ou de loin en fiction : l’aspirateur est l’amant de sa femme Monique,
le petit déjeuner devient tour à tour une compétition d’échecs ou une rencontre
sportive, il envoie ses charentaises par la poste pour leur faire faire le tour
du monde, et il fait son footing mensuel en voiture, mais attention sur un coup
de colère il peut devenir Jack l’éventreur (mais non Monique, c’est une façon
de parler, ce que tu peux être naïve parfois).
Le jeu revient de façon récurrente :
au petit déjeuner bien sûr, mais aussi quand il défie sa femme de faire le tour
du pâté pour être la première à lui taper dans la main avant qu’il ne le fasse,
quand il nous confie ses bons trucs : comment lire l’heure la nuit sur un
cadran solaire à la lampe de poche ou contrefaire un bordereau d’amende des impôts
pour leur faire croire qu’il a eu une contravention de catégorie 4 (et ils
acceptent en plus d’être payés, les ploucs !), qu’il invite les Gaburnot
afin de les humilier au concours de répartie (dont il est le seul à connaître
les règles) ou que pour ne pas avoir à payer l’addition au restaurant il glisse
un rat mort dans la nourriture (même s’il faut pour cela se faire éjecter avant
d’avoir mangé… car "on ne peut pas tout avoir Monique"). Tout est prétexte à
faire du quotidien une grande aventure dont il est le seul, à l’exception ponctuelle
de sa femme, à connaître les règles qu’il invente au fur et à mesure, faisant
de son existence un défi permanent qu’il relève, en héros, toujours haut la
main.
Le rire est indissociable du jeu auquel se
livre Raymond en faisant du lecteur qu’il prend à témoin, le partenaire indispensable de ses frasques
loufoques mais toujours cohérentes : Raymond invente un monde imaginaire
où la fantaisie a seule droit de cité et où le décalage avec le quotidien
morne et repoussant qui l’entoure entraîne son lecteur dans une chute
humoristique sans fin. Le héros, minable par ce qu’il accomplit réellement
(ouvrir en moins de 15’’ une part de Vache qui rit), est pourtant le héros de
sa femme Monique et le nôtre, complices que nous sommes de ses élucubrations.
Héros du jeu qu’il réinvente en permanence, il n’a de cesse de peindre la
réalité aux couleurs de l’enchantement indéfectible qui l’habite. Ridicule à
nos yeux, Raymond nous prouve en creux que celui-ci n’est pas forcément de son
côté, car en sublimant le quotidien par des aventures aussi grandioses pour lui
qu’elles sont grotesques pour nous, il nous montre par le rire que nous nous satisfaisons
finalement d’un monde que nous savons pourtant révoltant et vulgaire.
Chaussons donc nos charentaises
libératrices et appelons le héraut Raymond (mais dépêchons, car il ne veut pas
être dérangé après 22h), ce pourfendeur des contingences, car il est urgent,
comme il le revendique, de « laisser
un peu de place à l’imaginaire, sinon c’est le goulag. » Roboratif
donc indispensable.
La
vie échevelée de Raymond Calbuth aventurier d’appartement (1987) de
Tronchet, Glénat 1993, 272 pages, 24 €.
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