dimanche 19 août 2012

Dictionnaire des jeux

Ce dictionnaire des jeux n’en est pas exactement un puisqu'il s’agit plutôt d’une académie qui donne la règle d’une pléiade de jeux. Ainsi l’article « jeu » s’offre le luxe d’être famélique avec ses deux colonnes consacrées au sujet. Comme c’est le cas pour l’ouvrage de Claude Aveline, Le codedes jeux, l’introduction est la partie la plus intéressante. Rédigée par la conservatrice du musée de l’éducation, Marie-Madeleine Rabecq-Maillard, la préface est peu commune puisque celle-ci s’exprime en lieu est place du directeur d’ouvrage affiché, reprenant les décisions d’organisation de la matière à son compte : « Il eût fallu faire à partir d’un certain critère, tracer des limites difficiles à établir entre les diverses catégories de jeux. Le caractère encyclopédique de l’ouvrage en eût souffert. Choisir, c’est renoncer au reste. Dans la mesure où ses auteurs n’ont pas choisi, le dictionnaire des jeux a embrassé un domaine aussi vaste que le lui permettaient ses limites matérielles. Il s’est contenté de ranger les jeux par ordre alphabétique pour les raisons exposées ci-dessus ; cette présentation rend son usage particulièrement commode et pratique. » C’est vrai que pour le coup, un dictionnaire qui ne serait pas classé par ordre alphabétique mériterait difficilement son nom… Plus curieux encore, on trouvera la catégorisation « impossible » en fin d’ouvrage qui rend pour le moins caduque tout ce qui vient d’être écrit. Un doute assaille alors le lecteur : est-il certain que les auteurs ont lu le résultat final ?

D’autant que la préface est pleine de sous-entendus surprenants, qui donnent l’impression dérangeante que son auteur est la première à douter de la démarche exposée : « L’homme du XXe siècle peut se livrer à ses occupations désintéressées que les américains englobent sous le nom de hobbies et qui relèvent plus ou moins de ce que nous appelons jeux. » Non, hobby signifie loisir, même si finalement c’est d’abord un aveu mal assumé du rôle du plaisir dans le jeu, mot redoutable que M.M. Rabecq-Maillard se garde bien d’employer : « L’importance et la nécessité des jeux dans la vie contemporaine, l’intérêt qu’ils suscitent parmi les individus les plus divers justifiaient la publication de ce Dictionnaire qui, pour n’avoir par pas de prétentions scientifiques, n’en demeure pas moins une Somme pratique des jeux de tous les âges, dans les diverses civilisations. » Certes les auteurs ont fait un travail de synthèse sur un sujet « puéril », ce qui ne saurait donc mériter le terme bien trop sérieux de scientifique, mais au moins ont-ils fait œuvre utile ! Bien étrange couronnement, donc, d’une démarche qui s’inscrit pourtant dans les traces de celles d’érudits reconnus comme Johann Huizinga ou Roger Caillois, mais dont l’indécrottable futilité apparente semble entacher l’éclat jusque pour ses propres auteurs.

Le contenu demeure donc, logiquement tout à la fois conventionnel et empreint de bizarreries : capable de s’étaler sur la théorie des jeux qui est surtout une théorie économique des choix optimaux en environnement incertain, ce dictionnaire peut citer l’excellent ouvrage de Louis Becq de Fouquières, Les jeux des anciens, en bibliographie, tout en arrivant à écrire à l’article Echecs : « Les hypothèses les plus variées ont été avancées sur l’origine des échecs (…). Elles comportent pourtant deux points communs : leur ancienneté, qui semble pourtant interdire jusqu’à présent l’aboutissement précis des nombreuses recherches effectuées à ce sujet. Certains auteurs situent à plusieurs milliers d’année avant notre ère leur première apparition. » (p. 175). Pourtant L. Becq de Fouquières a démontré ludologiquement qu’il n’était pas raisonnable de le dater avant le VIe siècle, puisque aucun jeu n’affiche des déplacements différents suivants les pièces avant cette époque. Les atouts de ce genre d’ouvrage résident finalement dans sa principale faiblesse, celle de traiter le jeu de manière vieillotte et académique : la mention de l’anacyclique (autrement dit des vers brisés), un exercice poétique qui transforme un texte en labyrinthe à double sens, donne lieu à des petits bijoux, reflet d’une érudition compassée mais emprunte d’une nostalgie charmante :

Vive à jamais / l'empereur des Français
La famille royale / est indigne de vivre :
Oublions désormais / la race des Capets
La race impériale / doit seule lui survivre !
Soyons donc le soutien / De ce Napoléon
Du comte de Chambord / chassons l'âme hypocrite :
C'est à lui qu'appartient / cette punition.
La raison du plus fort / a son juste mérite. (p. 8)

Dictionnaire des jeux sous la direction de René Alleau, Claude Tchou 1964, 544 pages, épuisé.

Aucun commentaire: