Dans son essai sur le mot d’esprit Freud a
longuement tâtonné avant de proposer une théorie qui propose de faire du trait
d’esprit une économie psychique. Bien qu’il distingue de façon maladroite et
obscure entre rire, spirituel, comique et humour, sans que l’on sache bien
pourquoi, il donne dans sa conférence de 1927 à l’humour la même fonction
psychique : « Il n’y a aucun
doute, l’essence de l’humour consiste à économiser les affects que la situation
devrait occasionner, et à se dégager par une plaisanterie de la possibilité de
telles extériorisations affectives. » (p. 323) L’humour et sa
conséquence, le rire, sont ainsi un moyen de décharger la tension occasionnée
par les angoisses que génère l’environnement, et les risques d’agression, ce
que Freud appelle les offenses, que constituent potentiellement toute relation.
La nouveauté, en 1927, vient davantage de
la convocation du « moi » qui est déjà le propos principal de Freud
dans Le créateur littéraire et la fantaisie (1907), communication présentée avec pertinence au début du même
recueil : « Le caractère
grandiose est manifestement lié au triomphe du narcissisme, à l’invulnérabilité
victorieusement affirmée du moi. Le moi se refuse à se laisser offenser,
contraindre à la souffrance par les occasions qui se rencontrent dans la
réalité ; il maintient fermement que les traumatismes issus du monde
extérieur ne peuvent l’atteindre ; davantage : il montre qu’ils ne
sont pour lui que matière à gain de plaisir. » (p. 323) Certes, la
valeur cathartique de l’humour est évidente, mais plus encore le rire est une
façon de diminuer les tensions sociales en lui substituant l’intimité engendrée
par le rire : si nous partageons les mêmes sentiments, alors nous
supprimons les tensions potentielles engendrées par les risques de toute communication.
Partager des angoisses, vider une offense de son contenu, ce n’est pas les supprimer
mais lever le danger qu’elles constituent, les désactiver.
La conclusion de Freud, obnubilé par son
principe d’économie ne porte rétrospectivement pas bien loin : « Il veut dire : ‘‘Regarde, voilà donc le
monde qui paraît si dangereux. Un jeu d’enfant, tout juste bon à faire l’objet
d’une plaisanterie’’. » (p. 328). En d’autres termes, selon les mots
postérieurs du surréaliste Achile Chavée (et sans doute lecteur de Freud) :
« l’humour (noir) est la politesse du désespoir. » En effet, la
fonction réassurante de l’humour est double puisqu’elle désactive l’angoisse qui
nous écrase par un rire qui la nie tout en nous rapprochant de nos congénères. Au-delà,
et c’est sans doute la fonction que l’humour partage le plus profondément avec le
jeu, ce dernier affirme que l’homme n’est complètement humain que par sa
capacité à échapper à l’instinct, donc à dénoncer par l’esprit les angoisses dont
celui-là même (cet esprit qui nous autorise justement la prescience du danger)
s’accable. Mal et remède du mal, l’esprit et le langage qui le traduit et le
réalise – littéralement le mot d’esprit – permet de s’affranchir des peurs
incommensurables que cette capacité d’anticipation fait naître.
Or Freud l’a compris, la psychanalyse est
toute entière contenu dans ce hiatus, cette aptitude à générer des angoisses
qui n’existent que pour nous et dont nous sommes la seule solution. Ainsi le
mot d’esprit, comme le jeu, permet de compenser l’angoisse par le fantasme, la
souffrance par le plaisir, celui de devenir l’acteur de notre joie, cette
manifestation de notre libération des peurs qui nous étreignent, celles d’un
environnement hostile ou du « ça » tapi en nous.
Une réflexion plus convaincante et stimulante
que l’ouvrage préparatoire et laborieux dont elle tirée, sans être complètement
aboutie.
« L’humour » [1927] de Sigmund
Freud in L’inquiétante étrangeté et
autres essais, Gallimard 1985, pages 319-328, 8.10 €.
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