mardi 9 octobre 2012

Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient

Plus que la question de l’humour et du rire, cet essai pose la question du génie. Freud a écrit quelques essais sur le jeu, du moins la fiction et le plaisir,  dont Le créateur littéraire et la fantaisie est sans doute le plus réussi. En comparaison Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient est au premier ce que les Observations sur le sentiment du beau et du sublime de Kant est à la Critique de la raison pure : une blague. L’histoire a oublié les tragédies de Voltaire, et les écrits médiocres, pour ne pas dire grotesques, des grands penseurs du passés. En l’occurrence, on aura bien du mal à trouver dans cet essai quoi que ce soit d’intéressant. La faute à une forme qui tient plus de l’almanach Vermot que d’un essai scientifique, où la méthode se borne à multiplier les blagues sans charme, n’en déplaise à l’auteur qui vante « son jugement très sûr », l’exemple ayant partout remplacé la preuve, l’amenant à appuyer ainsi un premier exemple par un second : « L’examen d’un deuxième exemple confirmera cette conception. » (p. 327).

La question du jeu de mot, dont dérive finalement la plupart des vocables du jeu (iocus par exemple, mais aussi spiel) pose à la fois la question du symbolique, du plaisir et du rire. En hébreu le rire et le jeu sont par exemple un seul et même mot. Mais, même si Freud cite plusieurs références, il semble que Freud ne se soit pas suffisamment documenté sur la question pour remettre en cause ses certitudes. Ainsi celui-ci enchaîne les postulats et les erreurs : on ne peut pas rire du mot d’esprit que nous avons fait nous-mêmes (il ne me connaît pas) ; il faut de préférence une tierce personne pour exercer le trait d’esprit (alors qu’un scénariste en fait tout seul par exemple) ; le trait d’esprit se distingue du comique naïf par son caractère volontaire (alors qu’il est possible de rire justement de son caractère involontaire voire du lapsus révélateur qui le contient), on rit par « ricochet » alors que certains des meilleurs traits d’esprits sont faits par les pince-sans-rire dont le décalage entre la pensée et l'attitude ajoute à la drôlerie du trait, etc.

Il arrive même à Freud de se contredire, l’ouvrage étant si laborieux qu’il oublie la thèse précédemment défendue : « La psychogénèse du mot d’esprit nous a enseigné que le plaisir donné donné par le mot d’esprit provient du jeu avec les mots ou bien du déchaînement du non-sens et que le sens du mot d’esprit a pour seule destination de protéger ce plaisir contre sa suppression par la raison critique. » (p. 244) Cette thèse bien légère vient infirmer par exemple une précédente qui appuie sur la dérivation sexuelle : « Dès lors, on peut enfin toucher du doigt ce que le mot d’esprit réalise quand il est au service de sa tendance. Il rend possible la satisfaction d’une pulsion (de la pulsion lubrique et hostile) en s’opposant à un obstacle qui lui barre la route, il contourne cet obstacle et puise ainsi du plaisir à une source de plaisir qui était devenue inaccessible du fait de l’obstacle. L’obstacle qui barre la route n’est, à proprement parler, rien d’autre que l’incapacité de la femme à supporter le sexuel quand il n’est pas voilé, incapacité d’autant plus grande que le niveau culturel et social de celle-ci est élevé. » (p. 195). Thèse à son tour contredite par le résumé que Freud fait en conclusion de son essai de la thèse qu’il vient de développer : « Le plaisir du mot d’esprit nous a semblé provenir de l’économie d’une dépense d’inhibition, celui du comique de l’économie d’une dépense (d’investissement) de représentation, et celui de l’humour de l’économie d’une dépense de sentiment. » (p. 410-411).

C’est cette dernière thèse qui est reprise dans son essai plus tardif L’humour. Au final, on perçoit les difficultés de Sigmund Freud sur ce sujet qui en permanence balaie les thèmes qui lui sont chers sans trouver l’angle d’attaque qui permettrait de tous les relier : la sexualité, la condensation, le refoulement, l’inhibition, etc. Pourtant on sent poindre dans ces différentes thèses une explication commune : celle d’une agression que le rire, d’une acception plus large que le seul mot d’esprit, permet de désactiver. Sexuelle, sociale, morale ou logique, la violence que sublime le rire créé une intimité entre les rieurs tout en offrant une dérivation aux interdits qui trouvent ainsi un espace de réalisation par leur déplacement dans l’espace symbolique.

Un ouvrage qui en dit bien plus sur le processus de réflexion de Sigmund Freud que sur le sujet de l’essai, dont l’apport est faible en comparaison de ce dont est capable ce grand penseur.

Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient [1905] de Sigmund Freud, Gallimard 1988, 442 pages, 8.10 €

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