samedi 19 mai 2012

Pédagogie du jeu : jouer pour apprendre


« Ecrire sur le jeu, c’est philosophique. Ecrire un livre pour expliquer le jeu, c’est paradoxal ! Jusqu’à présent, nous n’avons pu trouver aucun livre sur le jeu qui soit conforme aux caractéristiques du jeu, c’est-à-dire qui soit divertissant et amusant à lire, comme il peut être amusant de jouer. » (p. 5) Commencer ainsi un ouvrage analytique est pour le moins téméraire, même si cette perspective vaut d’être posée. La canadienne Nicole de Grandmont ne fait pas peser le suspens longtemps : elle ne prétend pas faire mieux mais autrement. En résumé : cet essai à l’intention des pédagogues brosse très rapidement les caractéristiques et l’histoire du jeu avant de se concentrer sur son usage pédagogique.

A défaut d’épouser la forme du jeu, l’étude se fait pédagogique et produit systématiquement en fin de chapitre une fiche récapitulative et didactique. Si l’idée est intéressante, la forme retenue est infantilisante, voire contestable : des listes de notions non hiérarchisées qui donnent à penser que leur articulation n’est pas claire pour l’auteur. Si rendre un ouvrage sur le jeu accessible à tout un chacun est légitime, le risque de la vulgarisation est la simplification à outrance, surtout si l’auteur manque de maîtrise et de rigueur. Faire du jouet un intermédiaire entre le jeu ludique et le jeu éducatif (p. 30) est contestable puisqu’un jouet est potentiellement une infinité de jeux dont il se trouve donc à l’origine.

Pire, l’auteur, tout en  prétendant redonner au plaisir sa place primordiale, ne semble manifestement pas appréhender sa fonction : « le plaisir se voit quelquefois relayé au second rang des émotions, après la joie, le contentement, le bonheur, quand il n’est pas seulement remplacé par ceux-ci. Pourtant le plaisir est une notion fortement associée aux tendances élémentaires et fondamentales de l’humain, tandis que les autres formes d’émotions sont des synonymes davantage associés aux sentiments et aux sensations. » (p. 49). Le plaisir ne peut être relégué par les émotions puisque les émotions ne sont qu’une intensité de plaisir (positif ou négatif, dans le cas du déplaisir) et en constituent donc sa manifestation, d’autant que le bonheur n’est pas une émotion mais un état d’esprit, que les sensations sont aux origines des émotions, ou encore que les sentiments sont des émotions dirigées, en interaction.

L’étude de Nicole de Grandmont n’en est pas moins intéressante lorsqu’elle aborde sa spécialité, la pédagogie du jeu. Qu’elle cite C. G. J. Pulles sur le rôle thérapeutique du jeu chez l’enfant : « parce que le jeu est un moyen privilégié pour observer l’enfant, parce qu’il est pour l’enfant le meilleur moyen d’extériorisation et d’expression. Si l’adulte peut révéler ses pensées et ses expériences intérieures par la parole, s’il peut exposer ses difficultés et ses problèmes dans la conversation, cela est impossible à l’enfant. » (p. 63) ou, plus encore, qu’elle établisse une distinction fine entre jeu ludique, base des apprentissages de savoir-être (bien que l’auteur n’emploie jamais le mot), jeu éducatif qui met en œuvre des apprentissages, et jeu pédagogique qui permet de transformer les appris en acquis, et de minimiser ainsi la période de latence, l’auteur apporte sa pierre à l’appréhension pédagogique du jeu. De même lorsque l’auteur décompose la pédagogie du jeu en pédagogie de l’indirect (apprentissage par détour) et de la non intervention (initiative et autonomisation), bien que l’on en reste au stade de la définition, très peu de cadres étant donnés pour passer à sa mise en œuvre.

Un livre simpliste mais qui a les atouts de ses défauts, à savoir de constituer une introduction  accessible au jeu en tant que support d’apprentissage, et plus encore en érigeant le ludique comme un cadre de pensée de la pédagogie, et pas seulement l’inverse.

Pédagogie du jeu : jouer pour apprendre (1989) de Nicole de Grandmont, De Boeck 1997, 112 pages, épuisé.

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