mercredi 9 mai 2012

Le jeu

La statistique vaut ce qu’elle vaut mais intuitivement je dirais que, proportionnellement, les ouvrages anciens sont souvent meilleurs que les récents. On publiait moins et on se montrait donc plus exigeant, les auteurs ayant à cœur d’ajouter leur pierre au socle des connaissances communes. Cependant, parfois,  on constate à l’inverse le saut à la fois qualitatif et scientifique qu’il existe entre les ouvrages de soi-disant érudits du passé, et les exigences contemporaines en la matière. L’ouvrage d’Alan Wykes est le parfait représentant de cette seconde catégorie.

Intitulé le jeu, cet ouvrage traite des jeux, et plus particulièrement des jeux d’argent. A la manière d’une académie, liste indigeste de règles, Le jeu en recense le plus possible de représentants dont l’auteur nous livre les particularités, noyées dans des océans de chiffres sur le nombre de joueurs, de clubs, les primes, les gains exceptionnels, le tout parsemé d’anecdotes rocambolesques. La valeur informative semble ravalée au second plan, derrière le divertissement, si bien que le sujet apparaît trivial, sinon méprisable. Alors même que l’auteur ouvre sa réflexion par une synthèse mythologique et historique, seul le croquignol semble digne d’intérêt.

La réflexion dépasse rarement l’évidence, et l’absence de notes infrapaginales ou même de bibliographie laisse planer un doute sur le fondement scientifique de ce qui est rapporté. Par exemple l’auteur analyse, à la suite d’une anecdote mythologique autour du jeu : « De ce récit on peut conclure que le jeu existait bien avant l’an 3000 avant Jésus-Christ, époque approximative où la pyramide de Chéops fut construite. » (p. 30) Depuis quand peut-on interpréter les mythes de façon littérale et historique ? Comment peut-on imaginer que le jeu fut « inventé », puisque les animaux s’y livrent ? Ailleurs on peut lire : « Bien qu’il soit naturel aux enfants de s’amuser, l’instinct du jeu d’argent s’acquiert probablement en imitant les adultes. » (P. 26) Sans preuve aucune l’auteur vient ainsi d’affirmer que quiconque joue enfant à la poupée, deviendra, une fois adulte, un joueur compulsif…  Rien ne vaut le bon sens et l’évidence pour établir un raisonnement scientifique, puisqu’ils dispensent tous deux d’argumenter.

Plus loin Alan Wykes, avec l’intuition pour toute méthode, détaille la liste des motivations qui poussent à jouer : « Le désir de prouver sa supériorité sur les forces du hasard. Pour ce mobile, je pense que les femmes l’emportent sur l’homme. Etant elles-mêmes des créatures capricieuses, elles peuvent se laisser fasciner par les caprices du hasard, et éprouver une sorte de jouissance à les combattre. (Ce n’est pas un hasard si on représente la fortune comme une déesse). Bien sûr certaines femmes ignorent que les calculs des probabilités ne se soucient pas du sexe du joueur. Leur fantaisie est dépourvue de logique. » (p. 22). Une telle assertion, qui viendrait détendre une lecture un peu ingrate dans un livre du XVIIe, consterne dans un essai de 1964. Pire, c’est un discrédit pour le reste de l’ouvrage. L’auteur ne faisant aucune différence entre ses élucubrations et ce qu’il tient de source vérifiée.

Demeure cependant quelque très rare réflexion, qui, pour personnelle qu’elle soit, propose enfin une vision pertinente et originale du jeu : « Jouer est une façon d’acheter de l’espoir à crédit. Nous sommes tous esclaves de l’administration qui délivre ces cartes de crédit. Pour nous rendre compte de la plénitude de notre esclavage, rappelons-nous seulement  que chacun de nous doit son existence à la jonction hasardeuse de deux petits organismes féconds ; et que d’une disposition de chromosomes, gènes et hormones, apparemment due au hasard, dépendant de notre sexe, notre aspect et notre caractère. Nous vivons, c’est-à-dire que nous nous hâtons vers une mort, dont le mode et la date dépendant entièrement du hasard. Durant cette course à la tombe, nous ne cessons jamais de jouer, car nous ne pouvons connaître le résultat de chacune des nombreuses décisions que nous à prendre quotidiennement ; nous ne pouvons qu’espérer ‘‘avoir fait pour le mieux’’. » (p. 8) Dommage que celle-ci vienne en début d’ouvrage, berçant d’illusions le lecteur sur la qualité des informations à venir.

Une étude journalistique, dans le mauvais sens du terme, voire autistique puisqu’elle fait aucune place à l’épistémologie contemporaine de Huizinga ou Fink (alors qu’elle cite Caillois), éveille tant la suspicion qu’elle est de fait inexploitable.

Le jeu (1964) d’Alan Wykes, Tallandier 1966, 351 pages, épuisé.

2 commentaires:

xxx a dit…

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1995_num_93_1_6932_t1_0185_0000_2

Don Diego a dit…

Bonjour Xxx,

Merci pour ce lien, j'essaierai de faire la revue de cet ouvrage dès que je l'aurai lu.

Bien ludiquement,

Diego