Dans son précédent opus, Vivre : la psychologie du bonheur [Flow],
Mihaly Csikszentmihalyi détaille ce qu’est l’expérience optimale et la méthode
ESM (Experience Sampling Method) qui consiste à la traquer son bien être en l'évaluant sur une échelle de 1 à
10 de manière aléatoire tout au long de la journée. Le nouvel opus se concentre
davantage sur la façon de maximiser les expériences optimales tout au long de
sa vie : « Linus Pauling, deux
fois lauréat du prix Nobel, interrogé alors qu’il avait quatre-vingt huit
ans : ‘‘je ne crois pas m’être assis un jour en me demandant ce que
j’allais faire de ma vie, je me suis contenté de continuer à faire ce que
j’aimais’’. » (p. 82-83) L’auteur poursuit en citant un lauréat d’un
prix de littérature cette fois pour décrire précisément quand se produit
l’expérience flux : « Mark
Strand, ancien lauréat d’u prix national de poésie, décrit précisément le flux
quand il parle de l’écriture : « Vous êtes plongé dans votre travail,
vous perdez la notion du temps, vous êtes complètement pris par ce que vous
faites, captivé […] quand vous commencez quelque chose et que tout se passe
bien, vous avez l’impression qu’il n’y a pas d’autre manière de dire ce que
vous dites. » (p. 83)
Dans la recherche d’une vie intense le
rapport avec le jeu est davantage mis en valeur que dans l’opus précédent
puisque l’expérience proximale est conditionnée avant tout par la recherche du
plaisir : « Il faut donc pratiquer
une activité par plaisir et en se fixant comme but, non un quelconque résultat,
mais le contrôle à acquérir sur son attention. » (p. 164). Le jeu est
idéal dans la recherche du plaisir car il fixe clairement l’enjeu et le moyen
de se l’approprier : « Le flux
a tendance à se produire lorsque la personne se trouve face à un ensemble
d’objectifs clairs qui nécessitent des réactions appropriées. Il est facile
d’entrer dans le flux en jouant à des jeux comme les échecs, le tennis ou le
poker parce qu’ils ont un but et des règles qui permettent au joueur de savoir
quoi faire, et comment procéder. Tant que dure la partie les joueurs sont dans
un univers à part ou tout est noir ou blanc. » (p. 44-45). Mais on
aurait tort de croire que l’auteur recommande le jeu comme solution à une vie
heureuse, c’est seulement en désespoir de cause que celui-ci peut se révéler
satisfaisant : « Les exemples
historiques montrent donc qu’une société commence à dépendre fortement des
loisirs – notamment des loisirs passifs – lorsqu’elle est devenue incapable
d’offrir à ses membres des occupations productives signifiantes. Donner
« du pain et des jeux » est donc un dernier recours pour retarder
momentanément la dissolution du corps social. » (p. 93).
Le principal reproche qui a été fait à Mieux vivre [finding flow] est d’être seulement
une reformulation du premier opus. Pire, alors que l’auteur se targuait
d’assoir sa démonstration sur des milliers de sondage effectués par la méthode
ESM, il réutilise plusieurs des principaux exemples de son précédent
ouvrage : l’ouvrier qui sait faire fonctionner toutes les machine de son
entreprise, l’ouvrier qui sait monter une camera plus vite que son ombre,
l’exemple de Linus Pauling, etc. Au point que l’on se demande dans se livre qui
doit beaucoup au bon sens si l’auteur ne disserte pas d’abord à partir de ce
qui sert son propos plutôt que de données chiffrées rigoureuses. Ainsi quand il
produit le seul schéma de son ouvrage, emprunté à une étude qu’il a supervisée
sur l’expérience optimale tirée de la vie quotidienne, il fait un oubli de
taille : la frustration, absente de son schéma. De même, tout en faisant
allusion à Abraham Maslow, fondateur de la psychologie positive dont il se
réclame, il semble éviter tout
rapprochement avec sa pyramide… Les craintes qu’on avait émises sur la
confusion entre intensité de la vie et bonheur semblent malheureusement en
grande partie se vérifier : « Ce n’est qu’après avoir accompli une tache
que nous avons le loisir de revenir sur ce qui s’est passé, et nous sommes
alors envahis par un sentiment de gratitude extraordinaire pour la qualité de
ce qui vient d’être vécu – ensuite
seulement, rétrospectivement, nous sommes heureux. Mais on peut-être
heureux sans connaître l’expérience-flux. Le bonheur peut provenir de plaisirs
passifs, repos du corps, chaleur du soleil, relation paisible. » (p. 48).
C’est la seule concession que Mihaly Csikszentmihalyi fait une possible
distinction, employant le mot bonheur à tout bout de champ.
Le schéma (p. 47) que nous avons évoqué
fera certes le bonheur des rational
designers, mais si l’essai est plaisant à lire, comme l’était le premier,
on est bien en peine d’y trouver une démonstration des évidences que l’auteur
enfile comme des perles. Et dans évidence, il y a vide. Il est dommage que sur
une thématique aussi riche le second opus ressemble à un résumé du premier,
alors que nombre d’approfondissements et de rapprochements avec d’autres
modèles psychologiques auraient mérité d’être envisagés. A l’image de l’étude
antérieure d’Abraham Maslow, on reste toujours sur la désagréable impression
que l’auteur a mis le doigt sur quelque chose de si essentiel qu’il est
incapable d’en énoncer plus que l’évidence, à fortiori d’exploiter le
changement de paradigme qu’implique sa découverte. Et inapte à positionner
l’expérience optimale par rapport au bonheur, il se retrouve, par exemple, désemparé
en constatant qu’on peut vivre l’expérience optimale en faisant le mal, ce qui
va à l’encontre des idées, le conduisant à supputer alors que celle-ci ne
saurait être aussi optimale que lorsqu’on fait le bien (ouf !).
Un livre essentiel sur la notion de plaisir
– mais en cela pas plus ni moins que Vivre
[Flow] – dont l’exploitation des conséquences reste encore largement à
découvrir.
Mieux
vivre en maîtrisant votre énergie psychique [1997] de Mihaly Csikszentmihalyi,
Pocket 2005.
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