Les essais sur le hasard,
comme le note Jean-Marie Lhôte en introduction, sont suffisamment rares pour
que celui d’un ludologue retienne l’attention. Or, bien que l’objectif d’une
histoire ne soit pas de disserter sur le concept de hasard, on peut s’attendre
à ce que l’évolution de sa conception à travers les âges en constitue la
matière principale. Pourtant dès l’introduction, la grille de lecture appliquée
est celle des différentes acceptions de la définition du dictionnaire : le
hasard comme cas fortuit ou risque (casus),
le hasard comme volonté divine (fortuna),
le hasard comme chance (alea) et le
hasard comme sort aveugle (fors). (p.
9). Ce découpage quaternaire est ensuite appliqué à la chronologie qui débute
dans l’Antiquité avec l’homme hasardeux, se poursuit avec l’homme de destin au
Moyen Âge, l’homme improbable à partir de la Renaissance pour donner naissance
à l’homme téméraire contemporain. Cette vision téléologique du hasard, qui
évoluerait au fil du temps, s’appuie essentiellement sur des exemples que
l’auteur se plaît à faire rentrer, avec plus ou moins de bonheur, dans ses
catégories au travers d’innombrables exemples tirés de sa culture personnelle.
Or, au fil des pages, on
reste perplexe devant la méthode utilisée : en quoi multiplier les
exemples de hasard nous renseigne sur lui ? N’était-ce pas évident dès le
départ que le hasard serait partout et n’appartiendrait à aucune époque ?
Plutôt que de tenter d’appliquer, comme le fit Caillois en son temps, une
grille de lecture à la nature du hasard, n’aurait-il pas été plus pertinent de
s’interroger sur sa fonction ? Si bien qu’en plus de 200 pages, on
constate certes la richesse du sujet, mais on n’apprend que peu de choses sur
lui. Jean-Marie Lhôte est parti du principe que le hasard existait, sans se
demander si ce n’était pas d’abord nous qui lui donnions une réalité, par
l’ignorance de ses causes qui n’en feraient qu’une conséquence. Or qu’on le
considère comme risque ou comme chance, au service d’une volonté supérieure ou
désespérément aveugle, sa nature est une et ne dépend que du regard que l’on pose
sur lui. Tout simplement parce qu’il n’est autre que le regard humain qui l’isole
en tant qu’événement incompréhensible (donc fortuit) au sein d’une myriade
d’événements découlant les uns des autres.
Ce constat Jean-Marie
Lhôte ne le fait malheureusement pas, si bien que ses exemples qui font du
hasard l’un des sens et des moteurs de l’histoire apparaissent comme borgnes et
vains. Le hasard est partout où l’on veut bien le voir, donc nulle part en
particulier. Pourtant, selon la classification proposée, il y avait matière à
faire de ce regard la condition même de l’existence humaine : celle du
choix dont le ludologue sait toute l’importance dans le jeu. Car sans
incertitude pas de risque, donc pas plus de fatalité que de chance, encore
moins de témérité. Or, quand bien même l’homme ne serait né qu’avec une chance
sur mille milliards d’exister, et que ses décisions seraient dictées à 99% par
l’instinct de survie, il reste un interstice qui fait de lui un être
humain : sa liberté, et cette liberté est celle de choisir, de saisir sa
chance, en un mot : de jouer.
On regrettera que le style
de l’auteur, d’habitude si lyrique, n’ait pas produit ces beaux passages dont
il a le secret. Alors on se consolera avec ce mot de la fin que l’on doit à
Stéphane Mallarmé : « Jamais un coup de dé n’abolira le
hasard. » En effet, toute partie n’est, comme son nom l’indique, que
l’exploration d’une configuration particulière de la constellation du jeu dans
l’univers de tous les jeux possibles, bref une infime partie du grand jeu existentiel et de notre créativité. Et c’est rétrospectivement
au regard de celle-ci que nous donnons à cet infini de possibilités ludiques le
nom de hasard, condition de tout choix, donc de notre identité d’humain autant
que de joueur : d’homo ludens.
Histoire
du hasard en Occident de Jean-Marie Lhôte, Berg International,
244 pages, 19 €.
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