La traduction française du
titre Games people play, qui rappelle
volontairement l’ouvrage éponyme de Caillois, fausse d’emblée un peu la donne,
mais ce faisant introduit sans doute une notion qui échappe, ou peut-être sur
laquelle l’auteur commet sciemment une impasse : alors qu’Eric Berne
recourt sans cesse au terme de jeu, voire qu’il fonde le jeu comme obstacle
autant qu’antichambre de l’intimité, plus complexe que l’opération (activité
dont on souhaite tirer un profit), à fortiori que le passe-temps (parler
boulot, faire des réunions entre amis, commenter les résultats sportifs) ou
dans sa version la plus simple, que le
rituel (« bonjour, comment ça va ? »), il ne définit jamais le
jeu psychologique par rapport au jeu traditionnel. Sa vision du jeu a au moins l’avantage
de ne faire aucune distinction, et d’en proposer une vision totalitaire (nous
jouons tous des jeux, et ce malgré nous) et profondément pessimiste :
« Un jeu, c’est le déroulement d’une série de
transactions cachées, complémentaires, progressant vers un résultat bien
défini, prévisible. Sur le plan descriptif, il s’agit d’un système récurrent de
transactions, souvent répétitives, superficiellement plausibles, à motivation
cachée ; ou bien, en langage plus familier, d’une série de
« coups » présentant un piège, ou « truc ». Les jeux se
différencient nettement des procédés, rituels et passe-temps par deux
caractéristiques majeures : 1) leurs qualité secrète, et 2) le
« salaire ». Tout jeu, d’autre part est malhonnête à la base, et son
résultat présente un caractère dramatique, _ nous voulons dire : autre que
purement excitant. » (p. 50)
Si la définition est
inattaquable, un jeu est bien une activité à double niveau servie par un enjeu
qui la justifie, la terminologie faussement morale est maladroite puisque ces
jeux, qui se font souvent malgré nous, sont le fait de la lutte de notre moi parent
et de notre moi enfant au détriment de notre moi adulte. Il s’agit donc d’une
lutte à double niveau, dont nous ne maîtrisons que la motivation de surface.
L’analyse transactionnelle d’Eric Berne a donc l'intérêt de nous faire prendre
conscience de ce qui se joue malgré nous en nous et par nous. Le caractère
dramatique (qui étymologiquement, telle une stimulation, pousse à l’activité)
nous montre que ce qui dans le jeu relève de l’exploration « purement
excitante » de notre créativité et de notre potentialité, relève dans la réalité, celle de notre existence, plutôt de la duplicité et de la préméditation
(recherche calculée de conséquences préjudiciables).
« Si quelqu’un demande qu’on le rassure, et,
après l’avoir été, tourne de façon quelconque la chose au détriment du
« rassureur », il s’agit d’un jeu. En surface, donc, un jeu ressemble
à un système d’opérations, mais d’après le « salaire » il devient
apparent que ces « opérations » étaient en réalité des
manœuvres ; non pas d’honnêtes requêtes mais des « coups » dans
le jeu. » (p. 50-51). Ainsi pour Berne, qui se place dans une
perspective sociale puisque transactionnelle, nous nous jouons d’abord des
autres, et en désespoir de cause nous finissons par jouer contre nous-mêmes. La
désactivation de nos jeux reposerait alors sur trois étapes : la
conscience (être au monde), la spontanéité (être soi), l’intimité (être aux
autres).
Cette réorganisation des
rapports humains arrive pourtant bien tard, et le livre égrène de façon
hétéroclite tous les types de jeux auxquels l’auteur a été confronté, de façon
détaillée ou laconique, sans que jamais Eric Berne ne cherche à construire une
nomenclature de jeux fondamentaux ou hybrides. Seule la conclusion remet un peu
d’ordre, mais la lecture du livre laisse une impression confuse où l’auteur semble
oublier que la plupart des jeux se jouent malgré nous et à nos dépens et que,
tout en rappelant que les personnalités parent et enfant sont nécessaires à
notre équilibre, il ne valorise que l’adulte ; d’autant qu’il donne la
désagréable impression de réduire l’intégralité de nos comportements à des
jeux, ce qui paraît pour le moins malsain et dangereux.
Un ouvrage néanmoins
fascinant, qui fait penser plus qu’il ne pense, et qui montre que, bien avant
le concept fumeux de gamification et
bien malgré nous, le jeu est partout, pour le meilleur et pour le pire.
Des jeux et des hommes d’Eric Berne (1964), Stock 1967,
p. 215, 17 €.
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