Ouvrage original paru en 1969, le
dictionnaire des symboles a acquis depuis ses lettres de noblesse, les notices
étant particulièrement complètes et bien rédigées, et ouvrant sur plusieurs
références bibliographiques. Je ne détaillerai ici que la notice Jeu, mais ce dictionnaire est sans doute
avec Le trésor de la langue française
et l’Atlas sémantique, l’un ouvrages à avoir toujours sous la main pour accéder
à l’imaginaire collectif et penser au-delà des lieux communs. Bien sûr, le
revers de la médaille est que ses longues notices favorisent la qualité à la
quantité, et certains concepts ne sont pas référencés.
L’ouvrage réussit cependant le tour de
force d’être consensuel sans être banal ou superficiel : « Le jeu est fondamentalement un symbole de
lutte, lutte contre la mort (jeux funéraires), contre les éléments (jeux
agraires), contre les forces hostiles (jeux guerriers), contre soi-même (contre
sa peur, sa faiblesse, ses doutes, etc.). » (p. 538). On y trouve
certes aussi les erreurs répétées de tout temps, mais elles sont en cela la
synthèse de la bibliographie sur le sujet : « Les jeux sont à l’origine liés au sacré, comme toutes les activités
humaines, et les plus profanes, les plus spontanés, les plus exempts de toute
finalité consciente dérivent de cette origine. » (p. 538). Il est en
effet bien plus probable que le sacré dérive du jeu, ô sacrilège, que
l’inverse, le jeu précédant chez l’homme la conscience du divin, comme le jeu
animal précède le jeu humain. La notice se poursuit d’ailleurs par la description
du jeu mythique qui précède le jeu religieux : « Le jeu ou cles est en Irlande
la performance à la fois sportive et guerrière don un héros est capable et par
laquelle il surprend, déconcerte ou émerveille ses adversaires. Plus le nombre
de jeux auxquels il se livre est grand et plus il a des chances d’être célèbre.
Cuchulainn pratique ainsi plusieurs dizaines de jeux différents. » (p.
539).
Mais le plus intéressant est sans doute le
rapprochement entre le jeu et le psychodrame de Moreno (ce qui n’est pas sans
rappeler Des Jeux et des hommes d’Eric Berne) où le
jeu devient un moyen propre d’expérience, à même de rendre compte de façon plus
transparente des profondeurs de l’âme qu’un quelconque discours : « La plupart des actes de la vie spontanée
échappent à l’observation. Quand un sujet est en consultation, il s’efforce
d’expliquer le passé qu’il décrit ; il ne s’absorbe pas entièrement dans
une situation, vécue ici et maintenant ; sa spontanéité profonde ne
réussit pas à se manifester. Imaginons au contraire qu’il accepte par jeu de
vivre une situation inventée, mais dans laquelle il pourrait se sentir
impliqué. Il ne s’agit pas pour lui de reconstituer une scène passée, car
l’effort de mémoire, la crainte d’une confession implicite ou le refus de trahir pourraient
gêner la libre expression de la spontanéité. Non, il vivra une scène imaginaire
qui pourrait être sa propre histoire,
mais dont il est convenu qu’elle ne l’est pas nécessairement ; il
s’exprime et réagit en toute liberté, sans contrainte ni entrave d’aucun ordre.
(…) On voit monter l’angoisse, se décharger soudain une agressivité longtemps
contenue, éclater des conflits, sourdre des faux-fuyants pour éluder les
problèmes que l’on sent poindre, et le
drame se concentre inexorablement, peu à peu, sur un foyer qui devient
incandescent, qu’on en peut plus fuir ni dissimuler. » (p. 540-541).
Présenté ainsi, le jeu devient méthode de connaissance de soi qui repose moins
sur la somme des actions passées que sur les schémas comportementaux, sur
l’être plutôt que le faire ou l’avoir.
C’est là un des points forts de ce
dictionnaire qui, tout en réalisant naturellement la synthèse des principales
sources, ne dédaigne pas de s’écarter des sentiers battus pour proposer des
interprétations, sinon des rapprochements stimulants. Un ouvrage à conserver à
portée de main.
Dictionnaire
des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs,
nombres
de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Robert Laffont 1969, 1060 pages (p.
538-541), 21.50 €.
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