samedi 19 janvier 2013

Dictionnaire des symboles

Ouvrage original paru en 1969, le dictionnaire des symboles a acquis depuis ses lettres de noblesse, les notices étant particulièrement complètes et bien rédigées, et ouvrant sur plusieurs références bibliographiques. Je ne détaillerai ici que la notice Jeu, mais ce dictionnaire est sans doute avec Le trésor de la langue française et l’Atlas sémantique, l’un ouvrages à avoir toujours sous la main pour accéder à l’imaginaire collectif et penser au-delà des lieux communs. Bien sûr, le revers de la médaille est que ses longues notices favorisent la qualité à la quantité, et certains concepts ne sont pas référencés.

L’ouvrage réussit cependant le tour de force d’être consensuel sans être banal ou superficiel : « Le jeu est fondamentalement un symbole de lutte, lutte contre la mort (jeux funéraires), contre les éléments (jeux agraires), contre les forces hostiles (jeux guerriers), contre soi-même (contre sa peur, sa faiblesse, ses doutes, etc.). » (p. 538). On y trouve certes aussi les erreurs répétées de tout temps, mais elles sont en cela la synthèse de la bibliographie sur le sujet : « Les jeux sont à l’origine liés au sacré, comme toutes les activités humaines, et les plus profanes, les plus spontanés, les plus exempts de toute finalité consciente dérivent de cette origine. » (p. 538). Il est en effet bien plus probable que le sacré dérive du jeu, ô sacrilège, que l’inverse, le jeu précédant chez l’homme la conscience du divin, comme le jeu animal précède le jeu humain. La notice se poursuit d’ailleurs par la description du jeu mythique qui précède le jeu religieux : « Le jeu ou cles est en Irlande la performance à la fois sportive et guerrière don un héros est capable et par laquelle il surprend, déconcerte ou émerveille ses adversaires. Plus le nombre de jeux auxquels il se livre est grand et plus il a des chances d’être célèbre. Cuchulainn pratique ainsi plusieurs dizaines de jeux différents. » (p. 539).

Mais le plus intéressant est sans doute le rapprochement entre le jeu et le psychodrame de Moreno (ce qui n’est pas sans rappeler Des Jeux et des hommes d’Eric Berne) où le jeu devient un moyen propre d’expérience, à même de rendre compte de façon plus transparente des profondeurs de l’âme qu’un quelconque discours : « La plupart des actes de la vie spontanée échappent à l’observation. Quand un sujet est en consultation, il s’efforce d’expliquer le passé qu’il décrit ; il ne s’absorbe pas entièrement dans une situation, vécue ici et maintenant ; sa spontanéité profonde ne réussit pas à se manifester. Imaginons au contraire qu’il accepte par jeu de vivre une situation inventée, mais dans laquelle il pourrait se sentir impliqué. Il ne s’agit pas pour lui de reconstituer une scène passée, car l’effort de mémoire, la crainte d’une confession  implicite ou le refus de trahir pourraient gêner la libre expression de la spontanéité. Non, il vivra une scène imaginaire qui pourrait être sa propre histoire,  mais dont il est convenu qu’elle ne l’est pas nécessairement ; il s’exprime et réagit en toute liberté, sans contrainte ni entrave d’aucun ordre. (…) On voit monter l’angoisse, se décharger soudain une agressivité longtemps contenue, éclater des conflits, sourdre des faux-fuyants pour éluder les problèmes que l’on sent poindre,  et le drame se concentre inexorablement, peu à peu, sur un foyer qui devient incandescent, qu’on en peut plus fuir ni dissimuler. » (p. 540-541). Présenté ainsi, le jeu devient méthode de connaissance de soi qui repose moins sur la somme des actions passées que sur les schémas comportementaux, sur l’être plutôt que le faire ou l’avoir.

C’est là un des points forts de ce dictionnaire qui, tout en réalisant naturellement la synthèse des principales sources, ne dédaigne pas de s’écarter des sentiers battus pour proposer des interprétations, sinon des rapprochements stimulants. Un ouvrage à conserver à portée de main.

Dictionnaire des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Robert Laffont 1969, 1060 pages (p. 538-541), 21.50 €.

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