Dès le départ, l’existence
de sept valeurs (rhetorics) du jeu est postulée, à l’instar des genres de
Caillois, et à l’image de Des Jeux et des hommes, le reste de l’ouvrage illustre avec force exemples que ces
conceptions sont justes. Sauf que la critique qui était valable pour Caillois
en 1958, l’est toujours pour The
ambiguity of play en 1997 : la multiplication d’exemples ne vaut pas
preuve. En outre, l’absence de questionnement et d’explication sur ce qui a permis à
l’auteur de mettre au point ces catégories, parmi toutes les autres possibles,
enlève toute possibilité de critique scientifique de la démarche, et par cela
de validation scientifique du postulat de base sur lequel repose, comme un
château de cartes, l’ensemble de l’essai. Or si l’intitulé de l’ouvrage
semblait suggérer de façon originale que l’auteur considérait le jeu comme
insaisissable, et stimulait ainsi la curiosité du lecteur qui se demande
comment il est possible d’aborder un concept ambigu, en fait l’auteur se
contente de prendre acte des contradictions du ludique ce qui lui permet
d’introduire, à la façon de R. Caillois, et à défaut d’une définition, une
catégorisation de ses fonctions.
C’est sans doute là que ce
situe la principale originalité de l’ouvrage, bien que l’auteur n'y prête guère
attention : en bon pédagogue, plutôt que de rechercher les différentes
natures du jeu, il en circonscrit les différentes fonctions. Certes le tableau
récapitulatif, à l’instar de celui de Roger Caillois, frise le ridicule, mais
aborder le jeu par sa signification semble une bonne piste. Reste que la liste
des valeurs, même après avoir achevé l’ouvrage, semble contestable :
quelle différence faire entre l’identité (identity) et l’être (self) ?
Pourquoi la relation est-elle absente ? Pourquoi l’ambiguïté du titre ne
constitue pas l’une des valeurs du jeu (sinon de constater que la diversité des
valeurs rend le ludique ambigu) ? La liste des sept valeurs :
progrès, destin, puissance, identité, imaginaire, être, frivolité n’est pas
hiérarchisée, et le plaisir qui motive le jeu semble absent. Pourquoi ? Nous
ne le saurons pas puisque l’auteur n’explicite jamais l’origine de sa
nomenclature.
C’est dommage car, par
ailleurs, les réflexions de Brian Sutton-Smith sur les sources de la
connaissance (p. 59) ou la pensée de Mihaly Csikszentmihalyi sur le concept
d’expérience (« flow », p. 185), sont tout à fait pertinentes. Reste
que l’auteur n’arrive jamais à s’abstraire complètement de la méthodologie de
ses prédécesseurs et produit donc un livre déclaratif où rien n’est démontré ni
même appliqué, si bien qu’on ne sait pas bien quand on le referme ce que
celui-ci peut bien apporter, au-delà de son érudition évidente, à la pensée du
jeu. En conclusion, voulant insister sur l’aura grandissante du ludique, B.
Sutton-Smith semble lâcher un indice en forme d’aveu : « Un cynique pourrait dire que la plupart des
sciences sociales sont des jeux de métaphores présentées comme processus
mesurables. » (p. 218). Malheureusement, derrière ce bon mot, il
s’agit surtout d’un résumé du présent ouvrage. Une déception sur un si beau
sujet.
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