mardi 9 avril 2013

The ambiguity of play

Les ouvrages américains s’éloignent rarement des game studies, c’est-à-dire que, dans l’esprit anglo-saxons, ces ouvrages de théorie écrit par des praticiens, se doivent d’égrener des recettes opérationnelles pour analyser ou concevoir des jeux dans une perspective professionnelle. L’ouvrage de Brian Sutton-Smith, spécialiste de la pédagogie enfantine, prend quelques distances avec ce modèle sans s’en détacher tout à fait. En effet, dans ce qui constitue le nec-plus-ultra de l’abstraction ludologique pour les anglo-saxons, il s’agit surtout pour l’auteur de reprendre à son compte non seulement les thèses mais aussi la démarche de Johann Huizinga et de Roger Caillois.

Dès le départ, l’existence de sept valeurs (rhetorics) du jeu est postulée, à l’instar des genres de Caillois, et à l’image de Des Jeux et des hommes, le reste de l’ouvrage illustre avec force exemples que ces conceptions sont justes. Sauf que la critique qui était valable pour Caillois en 1958, l’est toujours pour The ambiguity of play en 1997 : la multiplication d’exemples ne vaut pas preuve. En outre, l’absence de questionnement et d’explication sur ce qui a permis à l’auteur de mettre au point ces catégories, parmi toutes les autres possibles, enlève toute possibilité de critique scientifique de la démarche, et par cela de validation scientifique du postulat de base sur lequel repose, comme un château de cartes, l’ensemble de l’essai. Or si l’intitulé de l’ouvrage semblait suggérer de façon originale que l’auteur considérait le jeu comme insaisissable, et stimulait ainsi la curiosité du lecteur qui se demande comment il est possible d’aborder un concept ambigu, en fait l’auteur se contente de prendre acte des contradictions du ludique ce qui lui permet d’introduire, à la façon de R. Caillois, et à défaut d’une définition, une catégorisation de ses fonctions.

C’est sans doute là que ce situe la principale originalité de l’ouvrage, bien que l’auteur n'y prête guère attention : en bon pédagogue, plutôt que de rechercher les différentes natures du jeu, il en circonscrit les différentes fonctions. Certes le tableau récapitulatif, à l’instar de celui de Roger Caillois, frise le ridicule, mais aborder le jeu par sa signification semble une bonne piste. Reste que la liste des valeurs, même après avoir achevé l’ouvrage, semble contestable : quelle différence faire entre l’identité (identity) et l’être (self) ? Pourquoi la relation est-elle absente ? Pourquoi l’ambiguïté du titre ne constitue pas l’une des valeurs du jeu (sinon de constater que la diversité des valeurs rend le ludique ambigu) ? La liste des sept valeurs : progrès, destin, puissance, identité, imaginaire, être, frivolité n’est pas hiérarchisée, et le plaisir qui motive le jeu semble absent. Pourquoi ? Nous ne le saurons pas puisque l’auteur n’explicite jamais l’origine de sa nomenclature.

C’est dommage car, par ailleurs, les réflexions de Brian Sutton-Smith sur les sources de la connaissance (p. 59) ou la pensée de Mihaly Csikszentmihalyi sur le concept d’expérience (« flow », p. 185), sont tout à fait pertinentes. Reste que l’auteur n’arrive jamais à s’abstraire complètement de la méthodologie de ses prédécesseurs et produit donc un livre déclaratif où rien n’est démontré ni même appliqué, si bien qu’on ne sait pas bien quand on le referme ce que celui-ci peut bien apporter, au-delà de son érudition évidente, à la pensée du jeu. En conclusion, voulant insister sur l’aura grandissante du ludique, B. Sutton-Smith semble lâcher un indice en forme d’aveu : « Un cynique pourrait dire que la plupart des sciences sociales sont des jeux de métaphores présentées comme processus mesurables. » (p. 218). Malheureusement, derrière ce bon mot, il s’agit surtout d’un résumé du présent ouvrage. Une déception sur un si beau sujet.

The ambiguity of play de Brian Sutton-Smith, Harvard university Press 1997, 276 pages, 26.50 €

Aucun commentaire: