vendredi 3 avril 2009

Histoire de la civilisation africaine

Histoire de la civilisation africaine (1933) est un curieux essai, entre philosophie, anthropologie, et histoire, tel qu'on concevait l'ethnologie au début du XXe siècle. L'influence d'Oswald Spengler et son Déclin de l'occident est sensible, voire des idées national-socialistes sur l'exception du destin allemand : "A présent le sentiment de vie allemand est pur. On nous a arraché notre costume étranger, et nous pouvons jouer le rôle qui fut écrit pour nous. Nous sommes délivrés du règne spirituel de l'étranger." (p. 30). Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement est ce que l'auteur appelle son approche morphologique de la civilisation, qui donne la première place au sentiment : "...l'humanité observatrice peut comprendre l'essence de la civilisation, si elle saisit les changements de sa propre  vie, et la remplace par une conception basée sur le sentiment de la vie des être observés." (p. 29) Ce qui n'est pas sans rappeler le concept l'observation participante de nos ethnologues contemporains.

A partir de l'exemple de garçonnets qui sont tout à leur loisir et qui, s'apercevant soudain que des fillettes les regardent, changent alors subtilement leur façon de jouer pour se donner l'image d'enfants qui jouent... leur rôle, le jeu suppose deux états de conscience, d'un côté celui de l'être, intellectuel, et l'autre celui du jeu, ressenti : "En effet, le jeu de l'enfant représente la source fondamentale qui jaillit des nappes souterraines les plus sacrées et d'où procède toute civilisation, toute grande force créatrice. Car dans ce jeu se révèle la faculté d'abandonner son âme en toute réalité à un monde second, à un monde des apparitions, dans lequel le petit homme ou l'homme se laisse captiver par un phénomène qui demeure en dehors de ses relations naturelles et de leurs causes se comprenant d'elles-mêmes. Et cela avec une profondeur proportionnelle à son propre changement de conception et dans la mesure où il acquiert deux formes de vie, celle de l'"être" et celle du jeu. Donc le fait de "jouer son propre rôle" se trouve à la source de toute civilisation." (p. 24)

C'est cette idée, passablement contradictoire dans son expression mais qu'on retrouve presque telle quelle chez Jean Paul Sartre dans son allégorie du garçon de café, qui a séduit Johann Huizinga et qu'il a reprise pour composer son Homo Ludens. Frobenius appelle alors à jouer comme méthode de connaissance, puisque c'est du jeu que toute culture naît : "Je ne puis "comprendre" une civilisation, un art, que dans la révélation affective de la substance qui lui imprima sa signification, et provoqua son jaillissement même." (p. 31)

Faire du jeu une méthodologie est intellectuellement stimulant pour un ludologue, bien que cette position soit plus lyrique que scientifique. Une invitation à creuser cette voie en tout cas, ou devrions nous dire cette voix, car c'est bien d'un appel au jeu qu'il s'agit.

Histoire de la civilisation africaine (1933) de Léo Frobenius, Gallimard 1952, p. 21-34, épuisé. 

Aucun commentaire: