mercredi 6 mai 2009

Jeux de rôle : Les forges de la fiction


Intéressé à la fois par les problématiques de la fiction et le jeu de rôle, j'avais mis sans doute trop d'espoir dans ce livre, et ma déception à été à la hauteur de mes attentes. L'auteur, Olivier Caïra, prétend s'adresser à la fois au rôlistes et aux néophytes, aux universitaires et aux profanes, il a même prévu un code de couleurs pour permettre à chacun de cibler les parties qui leur sont dédiées. C'est inutile, ni les uns ni les autres ne s'y retrouveront. 

La première centaine de page en effet est une explication de ce qu'est un jeu de rôle (Les jeux de rôle d'hier et d'aujourd'hui). C'est beaucoup trop long pour le public visé, d'autant qu'on est noyé dans une débauche de titres, d'éditeurs et de dates qui n'ont aucun intérêt si vous ne les connaissez pas, et encore moins si vous les connaissez déjà. Olivier Caïra réussit ainsi la performance d'être moins clair et didactique que l'encart de Casus Belli Qu'est-ce que le jeu de rôle ?, en vingt-cinq fois plus de pages. Il détaille par exemple, dans la partie consacrée au "montage et à l'improvisation", la structure systémique d'un jeu de rôle (cuisine que le néophyte est incapable d'apprécier et que le joueur connaît déjà), mais pas sa raison d'être : les spécificités de ce medium, comment s'entremêlent la narration et le jeu, la fiction et la réalité, que font en vérité les joueurs, quel rituel se met en place, comment naît le plaisir... 

Les cent pages suivantes sont une analyse "ethnographique" de parties de jeu de rôle à partir d'un scénario de l'invention de l'auteur. Enfin, ethnographique est un bien grand mot puisque les commentaires qui l'émaillent sont du type de ceux qu'on trouverait dans l'encart scénario d'un magazine de jeux. L'analyse y est, selon les mots mêmes d'un des amis de l'auteur, au "ras de la table de jeu", comme on dirait "au ras des pâquerettes". Un exemple : l'auteur prend le parti louable de transcrire certains dialogues de la partie, puis conclut : "Les joueurs se montrent très peu soucieux des caractéristiques de leur personnage". Quel intérêt y a-t-il à mentionner ce qu'on vient de lire dans le dialogue, plutôt que d'en chercher l'origine et les implications pour une théorisation du jeu et de ses fonctions ? Or ce travers est récurrent. L'analyse se limite à la paraphrase, et parfois à raccrocher une situation à ce qu'a écrit quelqu'un d'autre, sans qu'on soit plus avancés pour autant. Les seules rares distanciations dignes de ce nom sont ravalées en notes infrapaginales, l'auteur les jugeant sans doute hors sujet.

Au début du dernier tiers du livre, entre la page 200 et 220, on voit apparaître les théories de Goffman, on se dit : finis les empilements d'exemples, enfin un peu de distanciation et de réflexion ! Eh bien non : le rapport à Goffman est peu pertinent, quant à la définition du jeu on ne sait pas ce qu'elle vient faire à ce stade de l'étude, surtout que, une fois celui-ci (mal) défini, l'auteur n'en fait rien. Enfin O. Caïra achève son travail par un questionnement sur sa méthode qui aurait dû se trouver en introduction, ainsi qu'une critique bien mal venue de l'ouvrage de Laurent Tremel sur le jeu de rôle, au vu de la qualité du sien.

Au final voici une étude qui, pour un rôliste (vétéran), ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, alors que je ne peux imaginer (à lire comme une figure de style puisque le livre est édité par le CNRS) qu'un universitaire cautionne une méthodologie aussi faible qui oscille sans cesse entre l'évidence et le postulat. Rien n'est démontré : la définition du jeu, comme l'ensemble des typologies de l'auteur, sortent d'un chapeau, et quand l'auteur se permet de juger des pratiques rôlistiques en termes de "grand" et de "mauvais", outre la prétention du procédé, on se demande s'il a un jour su que les sciences sociales ont pour but de comprendre la société, pas de la juger.

Un "grand mauvais" livre pour reprendre cette terminologie indue.

Jeux de rôle : les forges de la fiction d'Olivier Caïra, CNRS éditions 2007, 311 p., 20 €.

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