jeudi 29 octobre 2009

La joueuse d'échecs



Encore un roman sur les échecs. Ce n'est pas tout à fait vrai, car comme l'annonce le titre il s'agit d'abord d'un roman sur une joueuse, ensuite sur les échecs. Le jeu millénaire n'occupe qu'une fonction sociale et antinomyque : le parangon des jeux masculins et mathématiques, le roi des jeux de salon joué par une femme de chambre. Le jeu est pour l'héroïne une échappatoire au quotidien routinier, à une société grecque insulaire étouffée de conventions et de traditions.

L'approche du jeu par Eléni est toute féminine : celle-ci aime le jeu d'échecs parce qu'il lui rappelle la France où elle a toujours rêvé de se rendre, et parce que la reine y est plus forte que le roi ; elle joue certaines ouvertures plutôt que d'autres parce qu'elles ont un joli nom, et le jeu parce qu'il lui plaît, tout simplement.

Plus encore, c'est la valeur symbolique des échecs qui intéresse en premier lieu Bertina Henrichs : un jeu masculin qui devient l'amant, le séducteur au sens pascalien du terme, d'Eléni qui se rend alors à ses rencontres échiquéennes comme à "une escapade amoureuse". Un amant qui libère sa véritable personnalité et qui donne un sens à sa vie, qui permet enfin à la femme qui sommeille en elle de s'affirmer dans une société machiste et patriarcale, en jouant son propre jeu.

Cette dimension libératoire, plus que celle des échecs, est celle universelle au jeu qui, d'un univers rassurant et routinier, arrache progressivement l'héroïne à sa réalité et à elle-même, lui permet de s'y montrer sous un jour nouveau. Métaphore de la lutte que mène Eléni pour exister, la victoire de cette aspiration d'elle-même, lui permet finalement de changer sa réalité et son univers. Un roman enfin sur la passion et le plaisir, qui permet à l'héroîne, grâce au jeu, "d'être" simplement, et de reprendre ainsi goût à la vie.

En dépit d'une langue minimaliste, voire sèche, un roman initiatique, féministe et original, qui se lit sans effort.

La joueuse d'échecs de Bertina Henrichs, Liana Levi 2005, 152 pages, 5 €

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