Faite en 1907, cette conférence de 14 pages est un modèle de clarté, de simplicité et d'intelligence. On pourrait penser qu'elle n'a que peu de rapport avec notre passion, et pourtant elle nous est précieuse car c'est l'un des rares textes de Freud qui mentionne le jeu, dans un passage désormais célèbre : "L'occupation la plus chère et la plus intense de l'enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous autorisé à dire : chaque enfant qui joue se comporte comme un poète, dans la mesure où il se crée son monde propre, ou, pour parler plus exactement, il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau à sa convenance. Ce serait un tort de penser alors qu'il ne prend pas ce monde très au sérieux ; au contraire, il prend son jeu très au sérieux, il y engage de très grande quantités d'affect. L'opposé du jeu n'est pas le sérieux, mais ... la réalité. L'enfant distingue très bien son monde ludique, en dépit de tout son investissement affectif, de la réalité, et il aime étayer ses objets et ses situations imaginées sur des choses palpables et visibles du monde réel. Ce n'est rien d'autre qui distingue encore le " jeu " de l'enfant de la "fantaisie"."
On cherchera en vain une démonstration scientifique, le style de Freud est littéraire et sa méthode à l'avenant. Il prend un exemple probant et s'en sert pour appuyer le bien-fondé de sa réflexion. Malgré cette légèreté des arguments, les rapprochements restent, plus d'un siècle après leur écriture, plein de pertinence : le jeu est au rêve ce que la création est à la fantaisie (= rêve éveillé), tout à la fois sa mise en forme et l'exaltation du moi, le plaisir du simulacre qui permet l'accomplissement de désirs inassouvis ou la recréation de reminiscences de l'enfance. Ainsi, en quelques mots, Freud dévoile les fondements de la fiction et de son attrait pour l'être humain. Bien entendu ces rapprochements, tout explicites qu'ils soient, ne sont pas complètement circonscris et ainsi Freud d'affirmer péremptoirement que les adultes ne jouent plus, ou de s'étonner de manière assez naïve de ce qu'un roman, qualifié de gare par prudence, traite toujours d'un héros vu de l'intérieur, donc du moi. La raison en est pourtant que tout art ne traite jamais que de son auteur objectivé (à la troisième personne), c'est-à-dire du spectateur, de l'auditeur, du joueur... et c'est donc de cette communion des "moi" que provient l'émotion.
Cette réflexion n'est est pas moins stimulante sur le jeu, l'art, l'enfance, le plaisir, la fiction, le rêve, l'émotion, la création, les héros et nous, car force est de constater qu'en quelques pages à peine Freud fait le tour du rapport de l'homme à la culture, son rêve éveillé, sa fontaine de jouvence, sa part d'éternité dont il est le centre. Magistral.
Le créateur littéraire et la fantaisie in L'inquiétante étrangeté et autres essais de Sigmund Freud, Gallimard 1985, p. 29-46, 7.70 €
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