Intitulé La voie : pour l’avenir de l’humanité, cet ouvrage qui propose une réforme de notre civilisation, s’intéresse logiquement au jeu, dans son chapitre consacré à la voie de la réforme de vie, à la rubrique consacrée à la relation esthétique : « Le jeu n’est pas qu’un loisir secondaire, il est une des façons de vivre poétiquement. » Edgar Morin entend par là qu’une meilleure vie passe par une aspiration aux états seconds, car « ce sont ces états seconds, pleins d’intensité poétique, qui donnent la sensation de la vraie vie. » (p. 267-268). Faisant allusion au vrai, opposé classiquement au beau, l’auteur précise alors sa pensée : « ...ces mêmes divertissements nous procurent aussi certaines des émotions poétiques de la vie, ils sont donc porteurs de vérités humaines, et pas seulement de détournement de l’essentiel. » (p. 268). Parce que le jeu apporte du plaisir, le jeu est dans le vrai, puisque ce faisant il remplit un besoin fondamental de l’homme, besoin dont le plaisir est la conséquence de sa satisfaction.
Certes Morin décerne, comme à son habitude, des louanges à l’un (Caillois), un satisfecit à l’autre (Huizinga), sans expliquer plus avant ceux-ci. Mais il a au moins le mérite de considérer le jeu non dans sa valeur sérieuse, mais au contraire en tant qu’activité originellement futile de divertissement, de jeu, c’est-à-dire étymologiquement de vecteur de plaisir. La stature d’Edgar Morin enlève sans doute un peu d’audace à cette opinion, mais celle-ci est surtout le fruit de la pensée complexe chère à l’auteur. Ainsi, dans son chapitre sur la réforme de la pensée, l’auteur fustige l’approche scientifique académique : « Notre mode de connaissance parcellisé produit des ignorances globales. Notre mode de pensée mutilé conduit à des actions mutilantes. A cela se combinent les limitations 1) du réductionnisme (qui réduit la connaissance des unités complexes à celle des éléments supposés simples qui les constituent) ; 2) du binarisme qui décompose en vrai / faux ce qui est soi partiellement vrai, soit partiellement faux, soit à la fois vrai et faux ; 3) de la causalité linéaire qui ignore les boucles rétroactives ; 4) du manichéisme qui ne voit qu’opposition entre le bien et le mal. » (p. 145)
Comme toujours, l’auteur ne définit la pensée complexe que par antithèse, ce qu’elle n’est pas. Or, si le procédé est passablement contestable pour quelqu’un qui a pourtant écrit 1500 pages sur le sujet puis encore 100 dans son Introduction à la pensée complexe, il n’en définit pas moins ainsi parfaitement le jeu et sa façon de l’aborder. En effet le jeu 1) reproduit la réalité par le “comme si” en la faisant passée pour vrai par l’illusion (in-lusio = pris au jeu) ludique sans la réduire, 2) fait de la contradiction le coeur du système ludique qui est une lutte entre des forces contraires, définissant 3) des boucles de gameplay qui sont à la fois cycliques et combinatoires ; donnant 4) des chances égales à chacun pour devenir tour à tour le héros du jeu. Ainsi, sans s’en rendre compte, Edgar Morin propose une pensée du monde profondément ludique, dont il ne peut logiquement que louer la poésie et les vérités essentielles.
Un essai plus lyrique que convaincant, mais qui pose les bonnes questions avec ce qu’il faut de passion et d’intelligence, c’est-à-dire de lien entre les choses. Et Edgar Morin de citer Pascal : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et tout s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. » (p. 147). Le jeu n’est que lien de l’homme au monde et du monde à l’homme.
La voie : pour l’avenir de l’humanité d’Edgar Morin, Fayard 2011, 307 pages, 19 €.
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