La minceur de l’ouvrage laissait pourtant présager que l’on avait affaire à une introduction à la théorie des jeux. Or si j’avais été critique, il y a peu, avec celle intitulée Théorie des jeux de Nicolas Eber, je le regrette en lisant l’opuscule de Bernard Guerrien. Celui, prétendument, « s'adresse au non-initié, et peut être lu sans aucune connaissance mathématique préalable » (note de l’éditeur à la première édition), mais il n’en est rien dans les faits. Certes on ne retrouve pas de chapitre entièrement à destination des amateurs de mathématiques, comme chez Nicolas Eber, mais certains passages, pétris de formules, restent inaccessibles au non mathématicien, et soulignent le mépris affiché pour l’exemple en bon français.
Pire, l’auteur ne se soucie pas vraiment de brosser un panorama des concepts de la théorie des jeux, et certains ne sont abordés qu’au détour d’une phrase là où N. Eber leur consacrait un chapitre, comme c’est le cas pour les équilibres bayésiens. En fait, ce qui intéresse Guerrien le mathématicien est de tordre le cou à l’usage abusif que fait l’économie expérimentale de la théorie de John von Neumann et Oskar Morgenstern, pas d’expliquer au lecteur ses tenants et ses aboutissants. A tel point que, une fois la lecture de l’ouvrage achevée, on sait à peu près à quoi ne devrait pas servir la théorie des jeux, mais sûrement pas à quoi elle pourrait servir.
Certes, il est bien agréable de lire noir sur blanc, par exemple, qu’« Il est essentiel […] que le chercheur en sciences sociales sache que la théorie des jeux n’est pas descriptive, mais plutôt (conditionnellement) normative. Elle n’établit ni comment les gens se comportent, ni comment ils devraient le faire pour atteindre certains buts. Elle prescrit, sous certaines hypothèses, des types d’action qui conduisent à des issues ayant un certain nombre de propriétés qui relèvent de l’‘‘optimalité.’’ ». (p. 15) mais ce recul salutaire devrait auparavant expliquer les principes fondamentaux qui sous-tendent la théorie, ce qui est insuffisamment fait. Et la critique récurrente, du type « ça ne prouve rien » ou « l’application est faussée », serait d’autant plus pertinente si Guerrien démontrait le divorce entre les projections de la théorie et la réalité de sa mise en oeuvre, divorce que N. Eber, sans être pour autant aussi critique que notre auteur, met en évidence d’une manière autrement plus efficacement que lui : en proposant simplement au lecteur des jeux (de la théorie) sous forme de petits tests.
Bref, un livre rempli d’imprécations qui voudrait convaincre le lecteur sans lui donner les moyen de comprendre le fond du débat. A lire pour quelques réflexions salutaires telles que : « Ce qui est laissé dans l’ombre est, bien entendu, essentiel, pour la simple raison que dans la grande majorité des jeux, il n’y a pas de raison évidente de jouer – et donc d’accorder une importance particulière aux équilibres de Nash. Tout dépend des croyances des joueurs, croyances qui sont un élément "hors modèle" » (p. 66), mais seulement après avoir consulté l’essai pertinent de N. Eber. Quant à une introduction simple et didactique à la théorie des jeux, elle reste encore à écrire.
La théorie des jeux de Bernard Guerrien, Economica 1995 (2010), 112 pages, 10 €.
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