Disons-le tout de suite le titre est
fautif. L’étude anthropologique est proposée avant les exemples, qui comme leur
nom l’indique, ne servent que d’illustration au découpage arbitraire que
propose Roberte Hamayon. Le cadre d’analyse est en effet largement postulé,
comme il l’était dans l’ouvrage de Caillois qui a manifestement servi de modèle
dans sa structure à cette étude. On reconnaît en filigrane les catégories de
l’essayiste, ainsi que les éléments constitutifs du jeu qu’il a édictés. C’est
d’autant plus étonnant que l’auteur se montre plutôt critique à l’égard de ses
prédécesseurs dont elle reprend à son compte finalement l’essentiel des
apports.
D’autre part, en dépit d’une bibliographie pléthorique
alors même que l’essentiel de l’ouvrage est constitué d’observations des jeux
rituels chez les peuplades mongoles, et malgré l’ambition d’examiner le jeu
« à frais nouveaux », la contribution de l’ouvrage à l’épistémologie
ludique est relativement mince : la faute à un plan qui au lieu de partir
d’analyses consécutives aux observations particulières de l’auteur, se contente
de les englober dans une théorie qui ne leur doit rien. On s’étonne même après
avoir lu tant d’exemples tirés de jeux rituels, d’apprendre en fin d’étude que
les jeux et le rite ne sont pas symétriques. Mais alors pourquoi avoir
exclusivement choisi des jeux rituels pour parler du jouer, voire avoir appuyé
les démonstrations sur des rites dont on a bien du mal à percevoir l’aspect
ludique : danses chamaniques, lutte mongole… ?
Heureusement en conclusion, l’auteur,
soupçonnant sans doute ces questions, s’explique : « Face à l’extrême diversité des faits et des
approches, j’ai fait un triple choix. D’abord, celui de faire porter l’analyse non
sur le ou les jeux mais sur le jouer ou, en d’autre termes, de délaisser les
événements pour interroger le processus. Et le choix, qui lui est lié, de ne
pas renoncer à l’idée de trouver, au moins dans les exemples de référence,
quelque chose qui justifie de considérer qu’il y a unicité de processus au-delà
de la disparité des jeux auxquels il donne lieu et des thèmes avec lesquels il
interfère. (…) Quant au troisième choix, il découlait logiquement des
précédents. Si ceux-ci imposaient d’abord le jouer sous différents angles – il
est dans l’essence d’une modalité de l’action que de se manifester de multiples
façons –, encore fallait-il définir sa spécificité sous chacun d’eux et saisir
les liens entre eux. Par là-même, il devenait possible d’envisager en même
temps l’existence d’un concept unique de jouer et l’inévitable fragmentation de
ses manifestations. »
On a l’impression que l’auteur, submergée
par sa bibliographie et ses notes des années 70, n’a trouvé pour tout salut que
de reproduire la formule de ses prédécesseurs, et de conclure qu’on ne peut
conclure sur le jeu. Ainsi là où Huizinga examinait le jeu dans chaque aspect
de la société (le jeu dans la guerre, le jeu dans l’amour, le jeu dans la
justice…) et où Caillois recherchait les traces des genres ludiques dans
l’histoire : l’imitation, le simulacre, la compétition, le vertige,
Roberte Hamayon part en quêtes de fonctions tirées des précédents auxquels
elle en ajoute de nouvelles qu’elle a puisées dans son abondante bibliographie : la
virilité, la ruse, le paradoxe, la métaphore qu’elle s’évertue alors à
appliquer sous forme de grille de lecture aux rituels ludiques des Bouriates…
C’est contreproductif en ce sens que si l’on est convaincu par la première
partie, la seconde partie ne fait qu’illustrer ce que l’on sait déjà et ne sert
donc à rien, et dans le cas contraire, l’exemple ne saurait de toute façon
avoir valeur de preuve, et ne sert donc pas davantage.
Sans doute aurait-il fallu questionner
davantage l’articulation jeu/rite, donnant ainsi la première place aux
observations anthropologiques. On se consolera néanmoins avec l’érudition des
références, mais l’ambition ludologique du propos, si fondée soit-elle à
proposer une approche modale, sonne, par l’aveu de la multiplicité du jeu,
comme un constat d’échec. Dommage.
Jouer : une étude anthropologique à partir d’exemples sibériens de Roberte
Hamayon, La découverte 2012, 369 pages, 26 €.
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