Si le titre français ne permet sans doute
pas de comprendre ce que vient faire un livre de développement personnel dans
un blog consacré au jeu, le titre américain est plus explicite. En effet, Flow : the psychology of optimal
experience est davantage une étude sur l’expérience – traduction de flow –,
et comment la vivre intensément, que sur le bonheur, état d’esprit abstrait et
rétrospectif. Dès lors chaque fois qu’on voit poindre le mot de bonheur on ne
peut s’empêcher de penser que le traducteur avait pour mission de coller aux
exigences d’une collection appelée Evolution :
des livres pour vous faciliter la vie. Envisagée sous l’angle de
l’expérience optimale, parfois appelée plus justement ailleurs proximale, le jeu
a donc toute sa place. Etrangement, ce sont surtout les professionnels plus que
les chercheurs qui ont fait le renom de la pensée de Csikszentmihalyi,
sensibles sans doute à l’analogie entre la courbe de difficulté d’un jeu vidéo,
qui définit en deçà l’ennui et au-delà la frustration, même si cet ouvrage est
aussi évoqué par les spécialistes de l’éducation comme Gilles Brougère dans son
essai Jouer / apprendre.
L’expérience optimale est décrite
ainsi :
1. « la tâche entreprise est réalisable mais
constitue un défi et exige une aptitude particulière ;
2. l’individu se concentre sur ce qu’il fait ;
3. la cible visée est claire ;
4. l’activité en cours fournit une rétroaction
immédiate ;
5. l’engagement de l’individu est profond et fait
disparaître toute distraction
6. la personne exerce le contrôle sur ses actions ;
7. la préoccupation de soi disparaît, mais,
paradoxalement, le sens de soi est renforcé à la suite de l’expérience
optimale ;
8. la perception de la durée est altérée. » (p. 79-80)
Cet ouvrage a un peu les
défauts de sa méthode : fruit d’une collaboration de différents chercheurs
de divers pays, les témoignages sont souvent interprétés au pied de la
lettre, sans volonté de théorisation. Par exemple le point deux et trois sont
distincts alors que l’un conditionne l’autre, les points 2 et 4 sont
redondants… D’autre part aucun rapprochement n’est fait avec d’autres théories
comme celle de la motivation d’Abraham Maslow dont la base est physiologique et
le sommet apporte l’accomplissement, autre nom de l’expérience optimale. On
notera que c’est le point 4 qui montre l’importance de l’aspect
autotélique : l’apport d’une rétroaction immédiate qui est l’une des
caractéristiques du jeu et plus difficile à trouver dans la vie courante. Cette
belle description externe d’une activité interne est judicieusement complétée
par une analyse interne de Myhaly Cszikszentmihalyi :
« Le
lecteur aura sans doute détecté des traces de circularité. Si, d’une part, l’attention
ou l’énergie psychique, est dirigée par le soi, ce dernier étant constitué de
la somme des contenus de la conscience (dont la structure des buts) et si,
d’autre part, les contenus de la conscience (dont la structure des buts) et si,
d’autre part, les contenus de la conscience résultent de la façon d’investir
l’attention, il y a là un système qui tourne en rond – sans cause ni effet clairs. Le soi dirige
l’attention et l’attention détermine le soi. De fait, les deux énoncés sont
vrais : la conscience n’est pas un système linéaire, mais un système de
causalité circulaire – l’attention façonne le soi et celui-ci façonne celle-là. »
(p. 62-63). La pertinence et la finesse de cette analyse qui pour la première
fois présente l’activité ludique, au sens d’autotélique, comme indéfinissable
puisque à la fois produit et productrice d’elle-même, n’empêche pas l’auteur d’hésiter en
permanence sur la façon de qualifier l’expérience optimale : enchantement,
plaisir, enrichissement, bonheur… qui semble relever d’une confusion que
celui-ci cherche à minimiser plus qu’à questionner :
« Les
activités qui procurent plaisir et
enchantement ont souvent été inventées à cet effet. Les jeux, les sports, les
arts, la lecture n’existent-ils pas depuis des siècles en vue de favoriser
justement les expériences plaisantes et enrichissantes ? Cependant il ne
faudrait pas penser que seuls les loisirs et les arts procurent des expériences
optimales. Dans un pays normal, dans une culture de santé, même le travail
productif et la routine quotidienne peuvent être satisfaisants. C’est justement
un des principaux objectifs de ce livre que d’explorer les façons de
transformer les activités de la vie quotidienne en des jeux pleins de sens qui
donnent lieu à des expériences optimales. Tondre le gazon, attendre chez le
dentiste, faire un gâteau peuvent devenir des activités agréables si elles sont
structurées de façon à fournir un but, des règles ainsi que les autres éléments
signalés. » (p. 82-83).
Ce qui paraît contestable, c’est qu’on ne
structure pas une activité pour la rendre autotélique (on joue simplement parce
que l’envie nous en prend) mais c’est au contraire en l’investissant pleinement
que celle-ci prend cette forme. Ainsi il ne s’agit pas de transformer en jeu
tout ce qu’on touche mais de vivre ludiquement, ce qui signifie plus ou moins
vivre tout simplement chaque moment qui nous est donné, d’en
assimiler la forme au point de ne plus faire qu’un avec lui. Bref de se prendre
au jeu de la vie pour la vivre comme un jeu.
Une belle leçon de vie et de jeu, expliquée
de façon didactique et parfois lumineuse, si l’on fait abstraction d’une
méthode qui s’abrite souvent derrière l’exemple pour s’épargner l’analyse et
surtout la synthèse. Une lecture recommandée dans tous les cas.
Vivre :
la psychologie du bonheur [1990] de Mihaly Csikszentmihalyi, Pocket 2004, 377 pages, 7.60 €
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