jeudi 28 février 2013

Introduction aux sciences de l’information

En sciences de l’information et de la communication il semble qu’universitaires et bibliothécaires se soient répartis le travail : aux premier la communication, aux seconds l’information. Pourtant c’est toujours à l‘information comme documentation qu’il est fait allusion, comme si la société de l’information n’existait pas. Bien que les ces deux spécialités s’accordent sur l’importance du sens, aucune ne veut céder l’empire du sens à l’autre : l’information est connaissance et la communication ce qui relie les connaissances. Un no man’s land semble délimiter le territoire de chacun, si bien qu’il n’est surtout pas fait état dans cet essai des fondements disciplinaires de l’information (« Nous utiliserons dans ce livre le mot ‘‘information’’ comme terme générique pour couvrir les données, l’information et les connaissances. » [p. 8]) et que celle-ci est traitée exclusivement d’un point de vue documentaire, comme en témoigne le plan de l’ouvrage qui évite soigneusement toute approche épistémologique ou conceptuelle. L'’étude évoque la transmission des informations avant même de détailler la discipline : les professions et les institutions, le traitement du document (mais pas le document lui-même), la recherche d’information (donc pas l’information), les pratiques des utilisateurs (plutôt que les usagers eux-mêmes), et enfin la gestion stratégique de l’information (donc pas plus les stratégies que la société de l’information).

Bien que les auteurs revendiquent une approche pratique, la rareté des ouvrages dédiés exclusivement aux sciences de l’information faisait espérer une volonté de dépasser le simple traité de documentation. Comprendre ce qui fait qu’un document est déclaré porteur d’informations, une typologie des documents (nous n’avons droit en introduction qu’à cette sentence intéressante mais lapidaire : « Les trois dimensions constitutives d’un document : la forme (ou le signe), le contenu (ou le texte), le médium (ou la relation). » [p. 8]), l’articulation entre production, indexation, diffusion, conservation et usage, ou plus simplement ce que sont les sciences de l’information (c’est tout de même l’ambition du titre), aurait été le minimum syndical. Mais l’essai, pourtant collectif, n’a même pas de conclusion, c’est peu dire la confusion qui règne dans l’esprit de ses auteurs. La schématisation du plan nombriliste de l’ouvrage est éloquente : transmission, analyse, recherche, usage puis politique, ce qui montre que les bibliothécaires s’intéressent d’abord à eux-mêmes, puis aux usagers et enfin seulement à la société qui donne un sens à leur mission. En documentation, force est de constater que l’usage n’est sans doute qu’une variable d’ajustement qui sert à justifier après coup le travail documentaire. La question salutaire de l’utilité des institutions de « lecture publique » à l’heure d’Internet n’est pas posée, probablement un sujet tabou. Le lecteur n’a droit qu’à la condamnation de Google (qui pourtant seul a su faire d’un service coûteux une ressource) et à un jugement condescendant sur la jeunesse qui fait confiance à la Wikipedia. En tout cas cette nécessaire attitude critique vis-à-vis de l’information, que prônent les auteurs de l’ouvrage, n'est pas appliquée à leur profession, à fortiori à eux-mêmes.

On aurait espéré pouvoir saisir comment un livre, support fondateur et éponyme de la bibliothèque, est devenu un document et comment sa dématérialisation conduit à repenser l’information qu’il contient, de façon à comprendre le processus qui fait qu’un document naît, vit et meurt, afin de pouvoir l’appliquer à un document encore largement en devenir comme le jeu, mais malheureusement cet essai, pourtant de 2009, est à mille lieux de dépasser les perspectives que se posaient les bibliothèques dans les années 90, au début de leur informatisation. Ainsi on a droit à un long chapitre sur les types d’indexations et leurs défauts, alors que la consultation distante plain texte a déjà, dans les faits, rendu caduques les bases fermées des bibliothèques. Sans doute que la profession ne se posera ces questions essentielles que longtemps après avoir disparue, voire que ce seront les archéologues (paléontologues ?) du prochain siècle qui feront ce constat. Je crois que la seule information que j’ai réussi à extraire de cette « introduction » concerne la classification à facette de Ranganathan : « Selon Ranganathan, cinq facettes sont nécessaires et suffisantes à l’analyse et à la représentation de tout sujet : la personnalité (P) ou l’essence du sujet (p. ex. ‘‘barres’’ dans Moulage de barres d’acier) ; la matière (M) (p. ex., ‘‘Acier’’ dans Moulage de barres d’acier) ; l’énergie (E) ou l’action décrite (p. ex. ‘‘Moulage’’ dans Moulage de barres d’acier ; l’espace (S) et le temps (T). » (p. 75).

Une étude qui marche sur la tête, sans vision globale et dont la portée est parfaitement définie par sa conclusion inexistante.

Introduction aux sciences de l’information [2009] sous la direction de Jean-Michel Salaün et Clément Arsenault, La découverte 2010, 235 pages, 17 €.

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