En sciences de l’information et de la
communication il semble qu’universitaires et bibliothécaires se soient répartis
le travail : aux premier la communication, aux seconds l’information.
Pourtant c’est toujours à l‘information comme documentation qu’il est fait
allusion, comme si la société de l’information n’existait pas. Bien que les
ces deux spécialités s’accordent sur l’importance du sens, aucune ne veut
céder l’empire du sens à l’autre : l’information est connaissance et la communication
ce qui relie les connaissances. Un no man’s
land semble délimiter le territoire de chacun, si bien qu’il n’est surtout
pas fait état dans cet essai des fondements disciplinaires de l’information (« Nous utiliserons dans ce livre le mot ‘‘information’’
comme terme générique pour couvrir les données, l’information et les
connaissances. » [p. 8]) et que celle-ci est traitée exclusivement d’un
point de vue documentaire, comme en témoigne le plan de l’ouvrage qui
évite soigneusement toute approche épistémologique ou conceptuelle. L'’étude
évoque la transmission des informations avant même de détailler la discipline :
les professions et les institutions, le traitement du document (mais pas le
document lui-même), la recherche d’information (donc pas l’information), les
pratiques des utilisateurs (plutôt que les usagers eux-mêmes), et enfin la
gestion stratégique de l’information (donc pas plus les stratégies que la
société de l’information).
Bien que les auteurs revendiquent une
approche pratique, la rareté des ouvrages dédiés exclusivement aux sciences de
l’information faisait espérer une volonté de dépasser le simple traité de documentation. Comprendre ce qui fait qu’un document est déclaré porteur d’informations, une typologie
des documents (nous n’avons droit en introduction qu’à cette sentence intéressante
mais lapidaire : « Les trois
dimensions constitutives d’un document : la forme (ou le signe), le contenu
(ou le texte), le médium (ou la relation). » [p. 8]), l’articulation
entre production, indexation, diffusion, conservation et usage, ou plus simplement
ce que sont les sciences de l’information (c’est tout de même l’ambition
du titre), aurait été le minimum syndical. Mais l’essai,
pourtant collectif, n’a même pas de conclusion, c’est peu dire la confusion qui
règne dans l’esprit de ses auteurs. La schématisation du plan nombriliste de l’ouvrage
est éloquente : transmission, analyse, recherche, usage puis politique, ce
qui montre que les bibliothécaires s’intéressent d’abord à eux-mêmes, puis aux
usagers et enfin seulement à la société qui donne un sens à leur mission. En
documentation, force est de constater que l’usage n’est sans doute qu’une
variable d’ajustement qui sert à justifier après coup le travail documentaire. La
question salutaire de l’utilité des institutions de « lecture publique »
à l’heure d’Internet n’est pas posée, probablement un sujet tabou. Le lecteur n’a
droit qu’à la condamnation de Google (qui pourtant seul a su faire
d’un service coûteux une ressource) et à un jugement condescendant sur la
jeunesse qui fait confiance à la Wikipedia. En tout cas cette nécessaire attitude critique
vis-à-vis de l’information, que prônent les auteurs de l’ouvrage, n'est pas appliquée à leur profession, à fortiori à
eux-mêmes.
On aurait espéré pouvoir saisir comment un
livre, support fondateur et éponyme de la bibliothèque, est devenu un document
et comment sa dématérialisation conduit à repenser l’information qu’il
contient, de façon à comprendre le processus qui fait qu’un document naît, vit
et meurt, afin de pouvoir l’appliquer à un document encore largement en devenir
comme le jeu, mais malheureusement cet essai, pourtant de 2009, est à mille
lieux de dépasser les perspectives que se posaient les bibliothèques dans les
années 90, au début de leur informatisation. Ainsi on a droit à un long
chapitre sur les types d’indexations et leurs défauts, alors que la
consultation distante plain texte a déjà, dans les faits, rendu caduques les
bases fermées des bibliothèques. Sans doute que la profession ne se posera ces
questions essentielles que longtemps après avoir disparue, voire que ce seront
les archéologues (paléontologues ?) du prochain siècle qui feront ce constat. Je crois que la
seule information que j’ai réussi à extraire de cette « introduction »
concerne la classification à facette de Ranganathan : « Selon Ranganathan, cinq facettes sont
nécessaires et suffisantes à l’analyse et à la représentation de tout sujet :
la personnalité (P) ou l’essence du sujet (p. ex. ‘‘barres’’ dans Moulage de
barres d’acier) ; la matière (M) (p. ex., ‘‘Acier’’ dans Moulage de barres
d’acier) ; l’énergie (E) ou l’action décrite (p. ex. ‘‘Moulage’’ dans Moulage
de barres d’acier ; l’espace (S) et le temps (T). » (p. 75).
Une étude qui marche sur la tête, sans
vision globale et dont la portée est parfaitement définie par sa conclusion inexistante.
Introduction aux sciences de l’information [2009] sous la direction
de Jean-Michel Salaün et Clément Arsenault, La découverte 2010, 235 pages, 17
€.
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