dimanche 1 janvier 2012

La vie quotidienne des joueurs sous l’ancien régime à Paris et à la cour


Le “beau” siècle (le XVIIIe) est réputé être celui du jeu, même s’il le fut sans doute moins que le nôtre. L’effet de loupe est dû entre autres à la fin des grandes guerres et famines, à l’émergence d’une classe bourgeoise et citadine, à l’apparition du papier monnaie de Law, au modèle décadent de la Cour et, enfin, à la suprématie écrasante du jeu d’argent - dont il est exclusivement question ici - qui cherche pendant plusieurs siècles un cadre et un frein à son développement.

Bien que cet essai soit l’adaptation d’une thèse de troisième cycle, il se lit comme un roman, émaillé de citations d’époque. Publié par un auteur d’à peine 25 ans, le propos est parfaitement maîtrisé et bien plus digeste que celui des Jeux au royaume de France de Jean-Michel Mehl, avec lequel il rivalise d’érudition. En effet, plutôt que de citer à la queue leu leu des dizaines d’exemples rassemblés dans des chapitres tiroirs (l’économie, la religion, le pouvoir...), Olivier Grussi les mets en perspective à travers un plan astucieux, transversal : jeux et joueurs, le joueur et sa passion, le dérèglement, devenir fripon, échapper à la police, la réussite : l’exception, le déclin de la vie intellectuelle, complaisance ou impuissance,etc. Comme quoi il est possible de faire un ouvrage historique avec un plan pertinent sans tomber forcément dans l’anthropologie, en usant des sources avec à propos plutôt qu’en laissant primer l’exemplum et l’anecdotique.

L’essai résume la pensée de l’époque en citant le Traité de la police de Nicolas Delamare : “la fin que l’on se propose dans le jeu, est encore une circonstance qui ne peut-être négligée, si l’on veut y remplir tous ses devoirs : le jeu est un remède et un repos que l’on donne à son esprit pour le délasser, en rétablir les forces, et en même temps celles du corps : cela vient d’être prouvé ; donc le gain n’en peut être le principal objet ; alors ce n’est plus jeu, c’est une espèce de commerce que les Pères de l’Eglise et les Théologiens estiment être également honteux et criminel.” (p. 12). Or cette opinion du XVIIIe siècle reste peu ou prou le reflet inconscient de celle d’aujourd’hui : intéressé, le jeu est (moralement) condamnable, pratiqué avec modération et sans gage, il est un ciment social et une récréation.

Socialement, le jeu n’est donc pas condamnable en soi, par nature, mais sa pratique peut l’être si elle trouble l’ordre public. Ainsi “le législateur ne reconnut jamais l’existence juridique du jeu d’argent, mais ne l’interdit jamais non plus. Le gagnant peut conserver les sommes que le perdant lui a versées, mais ne peut traîner ce dernier en justice pour lui faire payer ses dettes. Le droit fait comme si le jeu d’argent et le contrat ludique n’existaient pas, c’est-à-dire comme si les transferts d’argent liés au jeu étaient de simples dons : le donateur ne peut revenir sur sa décision, mais personne ne peut l’obliger à donner davantage qu’il ne le veut.” (p. 223). Plutôt que de nier la réalité du jeu - et ainsi de permettre à tout joueur de se pourvoir en justice pour récupérer les sommes qu’il a perdues, ou au contraire de reconnaître la validité du contrat ludique, - et de permettre du même coup au gagnant de faire appel à la justice pour contraindre le perdant à payer, l’Etat moderne a renoncé à choisir, instituant de fait l’ambiguité séductrice d’un jeu condamné par devant, mais entériné de fait. Depuis le XVIIe siècle, le jeu est ainsi érigé en tabou au même titre que le sexe, le consacrant finalement comme tout aussi essentiel.

La vie quotidienne des joueurs sous l’ancien régime à Paris et à la cour d’Olivier Grussi, Hachette 1985, 257 pages, épuisé.

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