La statistique vaut ce qu’elle vaut mais
intuitivement je dirais que, proportionnellement, les ouvrages anciens sont
souvent meilleurs que les récents. On publiait moins et on se montrait donc
plus exigeant, les auteurs ayant à cœur d’ajouter leur pierre au socle des
connaissances communes. Cependant, parfois,
on constate à l’inverse le saut à la fois qualitatif et scientifique
qu’il existe entre les ouvrages de soi-disant érudits du passé, et les
exigences contemporaines en la matière. L’ouvrage d’Alan Wykes est le parfait
représentant de cette seconde catégorie.
Intitulé le jeu, cet ouvrage traite des
jeux, et plus particulièrement des jeux d’argent. A la manière d’une académie,
liste indigeste de règles, Le jeu en recense le plus possible de
représentants dont l’auteur nous livre les particularités, noyées dans des
océans de chiffres sur le nombre de joueurs, de clubs, les primes, les gains
exceptionnels, le tout parsemé d’anecdotes rocambolesques. La valeur
informative semble ravalée au second plan, derrière le divertissement, si bien
que le sujet apparaît trivial, sinon méprisable. Alors même que l’auteur ouvre
sa réflexion par une synthèse mythologique et historique, seul le croquignol
semble digne d’intérêt.
La réflexion dépasse
rarement l’évidence, et l’absence de notes infrapaginales ou même de
bibliographie laisse planer un doute sur le fondement scientifique de ce qui
est rapporté. Par exemple l’auteur analyse, à la suite d’une anecdote
mythologique autour du jeu : « De
ce récit on peut conclure que le jeu existait bien avant l’an 3000 avant
Jésus-Christ, époque approximative où la pyramide de Chéops fut construite. »
(p. 30) Depuis quand peut-on interpréter les mythes de façon littérale et
historique ? Comment peut-on imaginer que le jeu fut
« inventé », puisque les animaux s’y livrent ? Ailleurs on peut lire :
« Bien qu’il soit naturel aux
enfants de s’amuser, l’instinct du jeu d’argent s’acquiert probablement en imitant
les adultes. » (P. 26) Sans preuve aucune l’auteur vient ainsi d’affirmer
que quiconque joue enfant à la poupée, deviendra, une fois adulte, un joueur
compulsif… Rien ne vaut le bon sens et l’évidence
pour établir un raisonnement scientifique, puisqu’ils dispensent tous deux d’argumenter.
Plus loin Alan Wykes, avec l’intuition pour
toute méthode, détaille la liste des motivations qui poussent à jouer :
« Le désir de prouver sa supériorité
sur les forces du hasard. Pour ce mobile, je pense que les femmes l’emportent
sur l’homme. Etant elles-mêmes des créatures capricieuses, elles peuvent se
laisser fasciner par les caprices du hasard, et éprouver une sorte de
jouissance à les combattre. (Ce n’est pas un hasard si on représente la fortune
comme une déesse). Bien sûr certaines femmes ignorent que les calculs des
probabilités ne se soucient pas du sexe du joueur. Leur fantaisie est dépourvue
de logique. » (p. 22). Une telle assertion, qui viendrait détendre une
lecture un peu ingrate dans un livre du XVIIe, consterne dans un essai de 1964.
Pire, c’est un discrédit pour le reste de l’ouvrage. L’auteur ne faisant aucune
différence entre ses élucubrations et ce qu’il tient de source vérifiée.
Demeure cependant quelque très rare
réflexion, qui, pour personnelle qu’elle soit, propose enfin une vision
pertinente et originale du jeu : « Jouer est une façon d’acheter de l’espoir à crédit. Nous sommes tous
esclaves de l’administration qui délivre ces cartes de crédit. Pour nous rendre
compte de la plénitude de notre esclavage, rappelons-nous seulement que chacun de nous doit son existence à la
jonction hasardeuse de deux petits organismes féconds ; et que d’une
disposition de chromosomes, gènes et hormones, apparemment due au hasard,
dépendant de notre sexe, notre aspect et notre caractère. Nous vivons,
c’est-à-dire que nous nous hâtons vers une mort, dont le mode et la date
dépendant entièrement du hasard. Durant cette course à la tombe, nous ne
cessons jamais de jouer, car nous ne pouvons connaître le résultat de chacune
des nombreuses décisions que nous à prendre quotidiennement ; nous ne
pouvons qu’espérer ‘‘avoir fait pour le mieux’’. » (p. 8) Dommage que
celle-ci vienne en début d’ouvrage, berçant d’illusions le lecteur sur la
qualité des informations à venir.
Une étude journalistique, dans le mauvais
sens du terme, voire autistique puisqu’elle fait aucune place à l’épistémologie
contemporaine de Huizinga ou Fink (alors qu’elle cite Caillois), éveille tant la
suspicion qu’elle est de fait inexploitable.
Le jeu (1964) d’Alan Wykes, Tallandier 1966, 351 pages, épuisé.
2 commentaires:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1995_num_93_1_6932_t1_0185_0000_2
Bonjour Xxx,
Merci pour ce lien, j'essaierai de faire la revue de cet ouvrage dès que je l'aurai lu.
Bien ludiquement,
Diego
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