lundi 25 juin 2007

Jeux & mathématiques


Depuis près de 30 ans, grâce aux jeux allemands, les mathématiques sont très couramment utilisés dans les jeux de société. En effet, l’un des pères du jeu moderne, Reiner Knizia, est un mathématicien allemand. Quant à l’inventeur du jeu le plus révolutionnaire des 50 dernières années, Magic the Gathering, il s’agit de l’américain Richard Garfield, docteur en mathématique. En effet, les règles d’équiprobabilité, les principes de scores, empruntent le meilleur aux mathématiques. Le jeu ‘allemand’, doté souvent d’un thème artificiel, est parfois purement mathématique, comme les perles : Les cités perdues, Schotten Totten, Coloretto, Big Shot (d’un anglais), Don, etc.

L’avantage des jeux en lignes sur les jeux de société, c’est qu’ils peuvent utiliser des formules complexes du type, pour un calcul des chances de soigner : 50+Niveau Compétence Soin*(Niveau Compétence Soin+11)/2, casse-tête rédhibitoire dans un jeu de société, qui par essence ne peut faire appel à un ordinateur ou une calculatrice. En revanche, cette même formule est transparente pour un joueur de jeu en ligne, le jeu se chargeant de tous les calculs et libérant le joueur de tout effort mental pour le plonger le plus efficacement possible dans l’univers du jeu, et donc le plaisir. Aussi, les créateurs de jeux vidéo seraient doublement fautifs de se passer d’une telle facilité, que leur envient leurs confrères créateurs de jeux de plateau, d’autant que les mathématiques facilitent aussi la vie du développeur, grâce à l’algorithmique.

Les mathématiques sont en outre un auxiliaire très appréciable pour créer des outils paramétrables. Par exemple, les objets, carotte pour les joueurs, est un peu la bête noire du concepteur, car plus il y a d’objets, plus ils sont complexes à équilibrer. Avec une formule adéquate préalable à leur création, utilisant les racines carrées ou les logarithmes, on obtient un lissage de la progression des prix, en fonction de critères tels que le poids, le niveau d’accessibilité, le coût en points d’action, les caractéristiques spéciales, etc. Une fois tous ces critères enfermés dans une formule, on peut créer à l’infini des objets répondant à un parfait équilibre mathématique, voire en générer automatiquement. Et là encore, jeu en ligne permet de réalimenter sans cesse le jeu de nouveaux objets, sans sortir d’add-ons ou de suite comme dans un jeu vidéo traditionnel.

Je serais même tenté de dire que toute question en matière de création, à sa solution mathématique... mais j’y reviendrai.

samedi 16 juin 2007

Théoriser sa création


Tout jeu vidéo a une prémisse, un thème : c’est la pierre angulaire de la logique de création. Mais si cela est nécessaire, ce n’est pas suffisant. Par théoriser, j’entends tout ce qui s’oppose à l’empirisme, tout ce qui permet d’inscrire un jeu dans une logique globale de création. Si nombre de jeux professionnels ne respectent pas cette règle, c’est qu’ils y sont moins sensibles. En effet, c’est sur les graphismes que repose souvent la cohérence de l’univers, à laquelle s’ajoute une utilisation du temps réel qui n’incite pas à peser chaque mécanisme du jeu : les actions réussies se faisant quand vous cliquez au bon endroit, sur la bon adversaire, avec la bonne arme, etc. Le gameplay n’est donc qu’un moyen pour plonger le joueur dans cet univers, et n’est souvent pas rationalisé, comme dans un jeu tour par tour où les formules mathématiques d’équilibrage remplacent l’adresse du joueur au combat. Pourtant, temps réel ou pas, on ne peut faire l’économie de cette rationalisation.

Par exemple, l’aspect collaboratif mis en avant par nombre de jeux en lignes (chat, messagerie, guildes) peut être complété par une pression sur l’expérience, moteur le plus souvent de la progression d’un personnage, en récompensant davantage les actions de soutien (boosts, soins) que les actions de combat. On peut aussi mettre en place des paliers d’expérience pour encourager les actions mixant nouveaux joueurs aux anciens : on pénalisera ainsi l’expérience retirée à frapper un jeune joueur, et on maximisera l’expérience gagnée par celui-ci en soignant par exemple.

C’est en ayant constamment à l’esprit ce thème central, moelle épinière qui guide la logique de création, qu’on peut choisir entre ce qui est primordial, c’est-à-dire ce qui fait avancer le jeu, et accessoire, voire nuisible, à savoir ce qui ne sert pas cette logique, ou même la dessert. C’est aussi le plus sûr moyen, au prix certes de quelques efforts supplémentaires en amont de la création, d’éviter de longues phases de tests et de béta qui servent souvent non pas à corriger, mais à créer des équilibres auxquels se s’est pas donné la peine de trouver un centre de gravité. En effet, sans ligne de force, on navigue à vue, et on n’appréhende jamais la création dans sa globalité, la retouche d’un facteur du jeu conduisant à la retouche d’un autre, puis d’un autre, sans fin. Cet empirisme est particulièrement visible dans les suites de jeux à succès sensées corriger les errances d’un premier opus mal pensé.

Ce n’est qu’en se posant les bonnes questions qu’on peut trouver les réponses adéquates. Mais encore faut-il s’en poser.

mercredi 13 juin 2007

Penser les jeux en ligne


Si le jeu en ligne est un jeu vidéo, c’est une sous-espèce qui n’a que peu de points communs avec son parent solitaire. En effet, même ses pionniers étaient munis d’outils de chat pour faire du jeu en ligne une expérience collective, une microsociété parallèle. Depuis, certaines fonctionnalités impensables dans un jeu vidéo ont été inventées pour profiter du fait de jouer en même temps au même jeu.

Des animations, sortes de défis temporaires organisés par des maîtres de jeu pour dynamiser et renouveler le schéma porte-monstre-trésor des jeux en ligne, ont ainsi été implémentées. Le PvP (Player versus Player), privilégie les affrontements entre joueurs là où le PvM (Player versus Monster) régnait en maître autrefois sur les jeux de salon. Enfin de véritables personnes incarnent les monstres d’importance ou PNJ (Personnages Non Joueurs) afin de suppléer à la bêtise artificielle par l’intelligence naturelle. Mais ces solutions sont accessibles principalement aux jeux professionnels en raison de leur coût.

Le vrai défi est de penser le jeu en ligne autrement que comme une transposition ‘massivement multijoueur’ de jeux ‘localement multijoueur’, à fortiori de jeux solitaires. On se rappellera en effet que le LAN, jeu par réseau, possédait déjà des outils de chat, et que le PvP n’a pas attendu Internet pour arriver. Ce défi est véritablement donc de penser un jeu sans fin, qui ne peut éternellement se renouveler. Ni WOW ni Everquest n’ont proposé de solution, le jeu s’arrêtant quand on atteint un certain niveau.

En effet, un des problèmes majeurs des jeux en ligne est la cohabitation des joueurs. La limitation de niveau n’empêche pas les débutants de se faire occire en trois coups par les anciens joueurs du camp adverse dans un jeu PvP. Du coup ont été créées des cartes spéciales pour les nouveaux joueurs. Mais cela ne fait que retarder l’échéance et confirmer des problèmes de conception.

Un élément de solution serait donc de penser chaque élément le jeu en ligne comme une interaction avec les autres mécanismes, avec les autres joueurs. Dés lors les nouveaux joueurs pourraient s’intégrer si des tâches spécifiques leur sont dévolues, si des règles spéciales les protègent, et surtout si des quêtes collectives, qui ne font pas appel à la puissance du personnage, mais à son astuce et à l’entraide et à la collaboration au sein de son peuple. Les quêtes pourraient en outre être construites à partir des joueurs eux-mêmes : par exemple un personnage est tué par un autre qui avait comme quête de le défier, cela provoque une possibilité de quête de vengeance pour le premier (la mort n’est pas définitive…), qui génèrera une enquête pour un troisième, etc.

C’est en tout cas ce genre de piste que j’explore actuellement dans mes créations.

mardi 12 juin 2007

Qu'est-ce que créer ?


Créer, c’est jouer à Dieu.

Et cela n’a jamais été aussi vrai qu’avec un jeu vidéo, a fortiori en ligne. En effet, il vous revient de créer un univers parallèle qui, s’il est souvent très éloigné de notre réalité, doit en simuler le comportement physique : temps, espace, besoins vitaux, argent… L’interactivité, et surtout sa persistance et son accès online, va permettre à des joueurs de tous horizons de peupler votre monde et de le faire vivre. Or, c’est un cas unique de créer et d’obtenir pratiquement instantanément, après la mise en ligne d’une mise à jour par exemple, le retour critique de milliers de personnes. C’est sans aucun doute ce qu’il y a de plus exaltant pour un créateur.

Mais créer, primordialement, c’est mettre le monde à portée de l’humain qui est dans chaque joueur, réduire l’infini et le transcendant à une série de règles ou de mécanismes composant un système appréhendable par tout un chacun. Un jeu cohérent est celui qui est tout à la fois connu et subtilement différent, à même de susciter à la fois l’enthousiasme de l’imagination et la familiarité de l’intuition. Il y a quelque chose de magique à transformer des cellules grises en être cellules vivantes, en mécanismes, en événements, en quêtes…

Techniquement, c’est penser à rebours, c’est raconter une histoire à l’envers. En effet, on connaît le point d’arrivée, mais pas le chemin. Il faut alors convaincre le joueur qu’il est libre… de faire ce que vous avez imaginé pour lui. A partir du moment où cela vient de lui, il aura une impression de liberté, puisqu’il aura choisi sa quête, son histoire. Inversement, vous pouvez créer le chemin, et vous reposer sur les joueurs pour leur donner une destination : créez des métiers, et quelques uns essaieront d’en tirer profit, d’autres de s’y montrer les meilleurs, d’autres s’amuseront simplement à s’y exercer.

Créer un jeu, c’est enfin penser le plaisir. C’est là où souvent le joueur néophyte qui propose une idée se fourvoie. Une idée, ce n’est pas un nouvel objet, plus de monstres, ou un grand donjon, mais simplement davantage de plaisir. Qu’est-ce que je peux faire qui va accroître le plaisir de jeu, qui va donner un sens aux errances des personnages, un but à leur progression, qui va les tenir en haleine, donner un goût de ‘reviens-y’ à leur connexion quotidienne. C’est penser le nœud d’un cadeau de telle façon qu’il dévoile le plus lentement possible son contenu.

Créer, c’est partager ses rêves pour qu’ils nourrissent le plaisir de chacun.

lundi 11 juin 2007

Jeux & jeux vidéo


Si on réunit souvent les deux genres en France dans le même dédain, les joueurs des premiers étant jugés attardés, ceux des seconds autistes, on les oppose souvent du point de vue social : le jeu sur ordinateur serait une activité solitaire et compulsive, alors que les jeux de société auraient un rôle social et éducatif. Le jeu vidéo ne reprend l’avantage qu’en termes économiques, où l’on ne cesse de louer une industrie ‘qui pèse plus lourd que celle du cinéma’ et où les français excellent.

C’est bien sûr extrêmement réducteur à l’heure de jeux en ligne, même si on peut s’interroger sur les liens affectifs tissés par des joueurs via leurs écrans, et selon l’unique mobile du profit que chacun peu retirer de l’autre pour progresser dans le jeu. Pourtant, lorsqu’on regarde les jeux de référence comme Everquest ou World of Warcraft, la messagerie ingame, le chat, le forum et les actions collectives (guildes, alliances…) jouent un rôle central. Si l’on ôte les combats très répétitifs, il ne reste guère qu’un site de rencontres, ou tout au moins d’échanges. Et les IRL (‘In Real Life’ = rencontres réelles de joueurs) sont monnaie courante. Pas si mal pour une activité ‘autarcique’…

Je ne m’attarderai pas sur le fait que les jeux de société développent l’imagination et la créativité (particulièrement les jeux de rôle), l’esprit dialectique et les talents de négociateur, alors que les jeux vidéo développent les réflexes, la détermination, les talents de gestionnaire, le sang-froid. Car ce n’est pas mon propos, la distinction qui m’intéresse étant la différence de mécanique.

En effet, les jeux de société se doivent d’être simples pour être accessibles, et faire simple, comme dit l’adage, c’est compliqué ! Les jeux vidéo en revanche, particulièrement ceux en ligne tour par tour, dont par exemple les jeux gratuits en PHP, peuvent faire appel à des mathématiques compliquées, impossible à intégrer dans un jeu de société. Car cette ‘ingénierie’ est invisible pour le joueur, donc simple (indolore), alors qu’elle serait rédhibitoire pour un joueur moyen dans une règle de jeu. Le jeu en ligne est donc tout spécialement adapté aux jeux de simulation : wargame, gestions, jeux de rôle, qui nécessitent des centaines de pages de règles écrites en petits caractères, alors que leur transposition online est intuitive et fluide, l’ordinateur se chargeant d’indiquer au joueur, au moment opportun, les actions dont il dispose.

C’est ce formidable potentiel latent de calcul qui m’intéresse, et qui doit de mon point de vue être exploité en création. Les jeux en ligne ‘professionnels’ l’ont déjà fait d’un point de vue graphique, transformant les mondes générés en véritables galeries d’art. Mais les mêmes sous-exploitent à mon avis le gameplay dont il est pourtant possible de tirer partie, sans transposer bêtement les jeux vidéo en solitaire. C’est en tout cas le thème de ce blog.

dimanche 10 juin 2007

Pourquoi joue-t-on ?


Bien d'autres avant moi on essayé d'y répondre. Je ne me risquerai donc pas à apporter de réponse définitive, mais plutôt mes réflexions, en écho de celles qui m'ont précédé. Pour Bruno Faidutti, créateur français de jeux de société, on joue bien abrité par les règles 'contre l'angoisse du monde', en quoi il est tout à fait dans la notion chrétienne du divertissement, du latin 'divertere' : détourner de la peur de la mort pour les uns, de Dieu pour les autres.

Mais étymologiquement, le jeu vient de joie. On jouerait donc d'abord pour se faire plaisir : "c'est pour rire" disent les enfants. En effet, si un jeu 'c'est avant tout des règles', comme le dit le créateur américain de jeux de société Alan Moon, alors le plaisir du jeu est profondément celui de la transgression. Edward Murphy prétend même : 'l'amour du jeu est tellement universel et sa pratique tellement agréable, que cela doit être un péché'. Rejoignant finalement, certes avec humour, la conception judéo-chrétienne du jeu : activité futile par excellence, qui détourne de ce qui est important.

Sigmund Freud, pour qui 'l'opposé du jeu n'est pas le sérieux mais la réalité', fait déjà un pas de côté. Certes le jeu est un échappatoire, mais ce n'est pas en soi une activité moins estimable, moins nécessaire à l'homme qu'une autre, sous prétexte qu'elle est plaisante. Il sait, comme nous, que le rire est le propre de l'homme. Schiller prétend même que 'l’homme ne joue que là où dans la pleine acception de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là ou il joue'. On sort donc avec lui de la conception, à la fois négative et passive de passe-temps, à la conception positive et active, qui permet à l'homme de dépasser, mais aussi d'éprouver le meilleur de sa condition d'humain en exerçant sa liberté. Les règles sont alors autant un carcan qu'une possibilité de transgression, de faire enfin ce qu'il est interdit dans la vie de tous les jours : tuer, voler, dominer le monde.

Et si la futilité même de cette activité était la clef de sa raison d'être ? En effet, tous les animaux grégaires jouent, et les biologistes s'accordent à le considérer comme une éducation à la vie sociale. Mais pour l'homme, il est plus encore un moyen d'expression, un exutoire aux tensions de la vie en société, une catharsis. En effet, les règles existent pour mettre tous les joueurs à égalité, même si chacun aura soin de rompre cette égalité pour l'emporter. Chacun en jouant à ainsi la possibilité d'obtenir 'une redistribution des cartes' de l'échelle sociale, d'être placé face à son destin, avec tous les éléments en main pour l'améliorer, et d'exercer sa liberté d'être humain face au monde schématisé par les autres joueurs. Et si l'on échoue malgré tous ses efforts, personne n'oubliera que 'ceci n'était qu'un jeu'. Mais si on l'emporte, on aura alors droit quelques instants à échapper à sa condition humaine.

Le jeu génère le rire et ce faisant libère l'homme de ses angoisses ; il lui fait partager ces moment de joie avec ses proches, et resserre ainsi ses liens sociaux. Alors le jeu activité sociale par excellence ? Profondément humaine en tout cas.

A consulter :
Le jeu, figure de la liberté
Le jeu contre l'angoisse du monde